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une réforme opérée avec fermeté aurait pour résultat de laisser entre les mains du public plusieurs centaines de millions qui aujourd’hui servent soit à constituer des profits, à des ateliers, mal dirigés, dont les chefs s’endorment sur l’oreiller moelleux de la prohibition, soit à augmenter indûment les bénéfices des établissemens bien organisés, bien outillés et bien administrés, qui profitent du régime prohibitif pour exercer une sorte de monopôle. Il y aurait seulement cette différence, que la majeure partie de la somme serait économisée sur les objets manufacturés, proprement dits, et sur les matières premières, telles que le fer, et non pas, comme en Angleterre, sur les produits agricoles. À ces centaines de millions d’économie se joindraient, pour les populations ouvrières et pour leurs chefs eux-mêmes, quelques autres centaines qui représenteraient pour elles la main-d’œuvre résultant du développement qu’acquerrait le travail, s’il n’était enlacé dans les liens de la protection.

Un des traits par lesquels se recommande le plus le système commercial actuel de l’Angleterre est l’absence de toute condition de réciprocité de la part des nations étrangères. Ainsi que le disait la pétition de 1820, dont en cela, comme sous les autres rapports, on a, en vertu de la force même des choses, fidèlement suivi les indications, la réciprocité n’est pas nécessaire pour que l’admission des produits étrangers et la mise en œuvre de la concurrence étrangère soient utiles au pays. « Ce n’est pas, y était-il dit, parce que des gouvernemens étrangers persévéreront dans des règlemens funestes à leurs nationaux que le système restrictif cessera d’exercer une influence déplorable sur la bonne assiette et le progrès de nos industries et la fécondité de notre capital. »

Sur ce point, je veux dire l’absence de la condition de réciprocité, le cinquième volume de l’Histoire des Prix rappelle, des faits intéressans qui n’ont peut-être pas été assez remarqués en France. Lorsque le ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, lord Clarendon, quitta Londres en 1856 pour venir prendre sa place au congrès de Paris, la chambre de commerce de Manchester lui envoya un mémoire, afin que, dans cette réunion de hauts représentans des grandes puissances, il fit ses efforts pour faire consacrer le principe de la liberté commerciale. La question d’un mémoire semblable fut discutée dans l’industrieuse cité de Sheffield, et le représentant de cette ville dans la chambre des communes ayant demandé l’opinion de M. Gladstone, celui-ci répondit par une lettre qui a reçu une grande publicité, où il établit, par des argumens les plus élevés et les plus justes, que l’Angleterre devait s’abstenir de toute démonstration dans ce sens auprès des puissances étrangères, que pour elle le parti le plus digne et le meilleur était de prêcher d’exemple, et non pas autrement, Les autres gouvernemens n’auront