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des listes a établi une jurisprudence uniforme pour la constatation des droits des électeurs. La connaissance de toutes les autres questions relatives aux faits abusifs de chaque élection appartient aux comités de la chambre des communes, qui, dans un délai de quatorze jours, reçoivent toutes les plaintes sous la garantie d’un cautionnement et prononcent sans appel sur la légalité comme sur la validité de l’élection.

Telle est la législation qui règle, par les dispositions les plus prévoyantes et les plus complètes, les droits des électeurs de la Grande-Bretagne. Elle a été à la fois l’œuvre de la tradition et l’œuvre de l’innovation. En faisant au progrès la part qui ne pouvait pas lui être refusée sans injustice et sans danger, elle a raffermi la constitution du pays, et c’est sans détruire le vieil édifice qu’elle y a remis les unes après les autres toutes les pierres qui y manquaient. Blessed the amending hand, bénie soit la main réparatrice ! — telle est la devise dont elle peut se parer, et qu’elle a justifiée.

Le corps électoral qu’elle a constitué comprend aujourd’hui, sur une population de 3 ou Il millions de citoyens majeurs, 1,237,000 électeurs[1], dont un million environ appartient à l’Angleterre. Grâce au système d’habile aménagement qui a réglé la répartition de tous les droits et l’équilibre de toutes les forces, il donne aujourd’hui au pays les garanties d’une large représentation de tous ses intérêts et de tous ses besoins. Il n’est ni une multitude ni une oligarchie. Quand le corps électoral est une multitude, n’y a-t-il pas à craindre que, le jour où la multitude égarée ne prendrait plus conseil que d’elle-même, les sages ne soient gouvernés par les fous, les propriétaires par les prolétaires, ceux qui savent ce qu’ils font par ceux qui l’ignorent, et que la force du nombre ne prévale sur le bon droit ? D’autre part, quand le corps électoral est une oligarchie, la nation est séparée en deux corps étrangers l’un à l’autre et peut-être ennemis l’un de l’autre. La classe gouvernante, n’ayant plus de liens avec la classe gouvernée, ne sait plus comment la conduire dans les jours heureux, ni comment la contenir dans les mauvais, et, trop confiante dans sa bonne cause, elle peut se laisser arracher le pouvoir par surprise, pour ne plus savoir ensuite comment le reprendre. Tels étaient les écueils qu’il fallait craindre, et l’Angleterre a su les reconnaître avant d’avoir fait l’épreuve du naufrage. Pour les éviter, le système électoral, sans faire passer à la foule le droit de suffrage, ne l’a pas réservé à une caste de privilégiés, et sans faire descendre le pouvoir politique dans la plaine, il ne l’a pas tenu sur une hauteur inaccessible. En outre, en appelant le peuple tout entier sur la place

  1. Parliamentary companion, 1857.