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romain était destiné à produire la jurisprudence et la philosophie de la tyrannie, en donnant le jour à l’empire de Byzance, la plus détestable école qui ait été jamais ouverte pour l’instruction des rois et des peuples. Là sont venus périr jusqu’aux derniers souvenirs des leçons de l’antiquité. Une souveraineté autocratique effrénée dans ses caprices, raffinée dans ses prétentions, cruelle dans ses vengeances, avilie par la mollesse, insultée par la fortune, et entretenue dans l’insolence par la corruption des cours, la sophistique des légistes et la bassesse des peuples, mais consacrée par le droit divin, voilà le spectacle et l’enseignement qu’a dus le monde à la fondation de Constantin. Je n’hésite pas à regarder le despotisme des césars comme la principale cause de la décadence ou de l’abaissement des sociétés européennes pendant plus des douze premiers siècles de l’ère chrétienne. La contagion atteignit jusque dans leur berceau les jeunes gouvernemens auxquels les invasions des peuples du Nord donnèrent naissance. Il en est peu qui, dès qu’ils commencèrent à porter leurs regards au loin, n’aient été séduits par ce type byzantin de la royauté, qui leur paraissait la royauté de la civilisation. Encore aujourd’hui l’autocratie qui fleurit dans les régions de la religion grecque est d’un mauvais exemple. Au moyen âge, le danger de l’imitation eût été bien plus grand encore, si d’autres influences n’avaient résisté, par exemple le sentiment de l’indépendance, individuelle chez les nations germaniques, municipale dans les vieilles cités romaines. Des guerriers teutons ne pouvaient guère se changer en Grecs du Bas-Empire, et leurs traditions sont une des origines des libertés modernes ; mais une tradition de race chez des vainqueurs n’est guère qu’un préjugé de caste, et un droit, apanage des conquérans, prenait aisément la forme odieuse du privilège. Voilà pourquoi l’aristocratie européenne est loin d’avoir toujours bien compris deux choses : la patrie et l’état. Au lieu de faire de son indépendance le boulevard de la liberté publique, elle l’a gardée pour elle jusqu’au moment où elle a mieux aimé en trafiquer. Comme au nombre des coutumes germaines était aussi la fidélité au chef, la subordination féodale a souvent fait place à l’esprit de cour, et la noblesse est devenue la parure et l’instrument du despotisme. Voilà pourquoi La Bruyère a pu dire : « Il n’y a point de patrie dans le despotique, et d’autres choses y suppléent, l’intérêt, la gloire, le service du prince. »

Quant à l’indépendance municipale, elle a été certes pour quelque chose dans la formation de cet esprit de la bourgeoisie, le même partout dans son essence, quoiqu’avec de grandes différences sous le rapport des lumières, de la hardiesse et de l’énergie persévérante. Il n’est point naturellement complice de l’absolutisme, il aimerait les lois, il voudrait le droit commun. Pour lui, la patrie est plus qu’un