Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ciale, en masquant les rigueurs de l’incarcération. Cependant il est à Gheel des familles bourgeoises dont les habitudes répondent aux habitudes de la classe moyenne, et où les aliénés riches peuvent trouver les agrémens de l’aisance, sinon l’élégance du comfortable. Encore, même en élevant le prix de la pension, il est bien peu de satisfactions utiles que l’on ne puisse obtenir : on aura domestiques et voitures à volonté, et pour un prix incomparablement moindre que dans tout autre asile. On a vu parmi les aliénés de Gheel un riche Anglais qui dépensait fort gaiement une grande fortune en fêtes, en chasses, en parties de plaisir.

La différence des langues semble un inconvénient réel, le flamand, qui est l’idiome dominant du pays, étant peu connu au loin ; mais l’analogie de cet idiome avec l’allemand et le hollandais le rend facilement intelligible aux malades des deux nations les plus voisines, et quant aux Français, ils trouvent leur langue parlée et comprise dans toutes les familles aisées de Gheel. On a soin de les y placer. Au surplus, quelques mois de séjour et de colloques initient à peu près à une connaissance élémentaire du dialecte local. M. Parigot a rendu cet apprentissage plus facile en composant un cahier de dialogues en français et en flamand.

Aucun classement systématique, d’après la nature ou la gravité des maladies, ne préside à la distribution des aliénés dans les familles. Une telle précaution, qui a été signalée comme un grand progrès de la science médicale, peut avoir en effet sa raison d’être dans des asiles où les insensés, en contact perpétuel, doivent être, dans leur propre intérêt, assortis en quelque sorte méthodiquement, où le médecin, réduit à tout gouverner par lui-même sans rien livrer à la nature, rend sa tâche plus facile au moyen de divisions matérielles et logiques qui sont l’équivalent de la division des ateliers dans l’ordre industriel. Dans une commune où l’asile est toujours une maison seule, une famille seule, les malades n’ont à craindre aucun heurt dangereux de leurs pareils. On se borne à éloigner de Gheel les aliénés tapageurs ou bruyans, ainsi que ceux qui eussent pu devenir dangereux au milieu d’une population compacte. Sauf ce triage, le médecin renonce à toute classification qui ne pourrait être qu’arbitraire, à peu près impossible, et finalement inutile.

Le mélange même des sexes est considéré à Gheel comme exempt de tout inconvénient. En admettant des membres adoptifs, la famille ne perd aucune de ses chastes et pures influences. Cependant, pour ne pas blesser de respectables scrupules, le règlement défend de placer dans la même maison hommes et femmes ensemble, sauf autorisation spéciale. Du reste, hors de la maison, les uns et les autres