Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

1851, rareté bien naturelle, si l’on considère que la mélancolie, qui porte au suicide, peut être souvent calmée par ce changement de fond en comble de toute l’existence, et que le désespoir de l’incarcération n’y aggrave jamais la prédisposition naturelle. En même temps la dispersion dans des familles distinctes, souvent isolées, prévient tout danger d’imitation contagieuse. Quant aux attentats graves contre les personnes, on en compte deux dans le cours d’un demi-siècle. Il y a quarante ans environ, un aliéné assomma un enfant dont il était jaloux. En 1844, le pharmacien et bourgmestre Lebon fut assassiné par un aliéné, irrité de se voir gêner dans l’exercice de la pharmacie, dont il tirait un bon profit. Encore le jury estima-t-il que le crime avait été commis dans un intervalle de lucidité, et condamna-t-il l’herboriste Xhenaval aux travaux forcés à perpétuité. Ces attentats, des plus déplorables assurément, sont tellement rares, qu’ils n’éveillent parmi les habitans aucune idée de péril. Leur sécurité est parfaite, même pour les femmes et les enfans. La rencontre d’un fou leur est aussi indifférente que celle de tout autre voisin.

Nous décrivons, on le devine, l’état habituel et on peut dire normal de la colonie. Quand éclatent des accès intermittens de fureur, le nourricier et sa famille, aidés au besoin des voisins, les domptent aisément, et la rébellion devient d’autant plus rare que l’aliéné acquiert bien vite la conscience de la défaite certaine qui toujours l’attend. La fureur passe-t-elle à l’état chronique, on recourt aux moyens matériels de correction, lesquels sont le plus souvent des caleçons ou camisoles de force. Quelquefois des liens de cuir ou même de fer fixés à la ceinture retiennent les furieux auprès du foyer ou du lit. D’autres fois une chaîne attachée à la ceinture ou bien des entraves leur contiennent soit les mains, soit les pieds, sans les retenir immobiles dans la maison. En novembre 1886, sur 778 aliénés, 93 subissaient un genre ou l’autre de contrainte. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, les évasions ne sont pas fréquentes : on n’en compte pas plus de six ou huit par an. Pourquoi les aliénés tenteraient-ils de s’emparer par force ou par ruse d’un bien dont ils jouissent ? S’ils sont dépaysés, ils possèdent du moins dans cet exil temporaire toute la liberté qu’ils pourraient rechercher ailleurs ; mais comme après tout les insensés ne raisonnent pas ou raisonnent mal, on a dû organiser tout un système de moyens pour déjouer les tentatives d’évasion.

À la première disparition d’un pensionnaire, le nourricier en avise le bureau administratif de Gheel, qui met tout de suite en mouvement les gardiens, la police, la gendarmerie, les autorités locales. D’ordinaire, l’intervention de tous ces agens est rendue inutile par