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Il y a déjà quelque temps que le déclin de ses forces physiques était sensible. Ce souverain, spirituel et impressionnable, luttait vainement ; l’instant est venu où l’illusion n’a plus été possible et où tout révélait la nécessité d’une résolution qu’il a fallu peut-être d’ailleurs habilement et délicatement préparer. Cette transmission temporaire des prérogatives de la royauté peut-elle exercer quelque influence sur la direction de la politique prussienne ? D’abord elle est pour le moment limitée à trois mois ; mais dût-elle avoir une plus longue durée, si d’ici-là le souverain actuel ne retrouvait pas la santé dans le repos, le pouvoir passe en des mains intelligentes et fermes. Le prince Guillaume de Prusse est le frère du roi et l’héritier présomptif de la couronne. Mêlé depuis longtemps à la politique de son pays, toujours chargé des plus grands commandemens, on peut dire que pendant la dernière guerre il était le chef de ce groupe dont les sympathies étaient pour l’Occident. Il marchait d’accord avec des hommes, comme le général Bonin, M. Bunsen, qui furent à cette époque éloignés des affaires, et lui-même il s’effaçait un instant, comme pour mieux attester l’indépendance de ses vues et de ses Inclinations occidentales. Les idées qu’il a eues jusqu’ici, il ne les abdiquera pas sans doute en prenant le pouvoir, et si la politique prussienne ne subit pas en un instant des modifications essentielles qu’il serait puéril d’espérer, elle ne peut du moins que se ressentir heureusement d’une intelligente et favorable impulsion. Aussi bien la Prusse est peut-être aujourd’hui en situation de prendre un rôle, d’exercer une influence décisive dans une des principales affaires du moment. Comme la France, la Russie et la Sardaigne, elle s’est prononcée nettement et loyalement pour la libre manifestation du vœu public dans les principautés. C’était la simple exécution du traité de Paris, et la Prusse a maintenu l’autorité de cette grande transaction ; mais elle n’a rien dit jusqu’ici qui puisse indiquer son sentiment définitif sur le principe même de l’organisation future des provinces du Danube. Or voilà la question qui se présente : elle s’agite à Bucharest et à Iassy, tandis que les crises ministérielles se succèdent à Constantinople. Que fera l’Europe, et comment se concilieront toutes ces divergences qui ont éclaté, qui ont produit des luttes d’influences si vives ?

Là réside toujours le plus grave problème de la politique européenne au moment présent. Diplomatiquement, il reste ce qu’il était, un malheureux objet d’antagonismes, une cause de dissidences et de luttes qui ne se dénoueront que dans les délibérations du congrès. Seulement on n’en est plus aujourd’hui aux conjectures sur le vœu réel des populations roumaines des deux provinces. Ce vœu s’est manifesté sous une forme aussi claire que significative. Les deux divans, en effet, viennent de se réunir, à peu de jours d’intervalle, à Iassy et à Bucharest, et dès qu’ils ont été régulièrement constitués, ils ont commencé par émettre un vote qui résume en quatre points les conditions essentielles de la réorganisation demandée à l’Europe par les principautés elles-mêmes. Ces quatre points sont la garantie européenne des anciennes capitulations avec la Porte-Ottomane, — l’union sous un prince de l’Occident, — un gouvernement constitutionnel, avec une seule assemblée nationale représentant tous les intérêts, — la neutralité et l’inviolabilité du territoire roumain. Qu’on n’oublie pas que ce vote a été émis à peu près à l’unanimité, et que la motion a été adoptée à Iassy comme à Bucharest. Ainsi le