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— Hum ! Il a… beaucoup de dettes, à ce qu’on dit.

— C’est peut-être un grand savant ?

— Oh ! pour cela, oui. Je crois qu’il sait tout.

— Ah ! si je pouvais lui parler ! mais je n’oserai jamais…

— Si vous avez les poches pleines, osez toujours.

Benjamin soupira. — Je n’ai pas d’argent sur moi, dit-il tristement.

— Pourvu que vous en ayez chez vous, cela revient au même ; un beau mouton, une chèvre, une vache, un poulain, que sais-je ? Athanase accepte tout.

— Vraiment ! En ce cas, il est mon homme, et je vous remercie de tout mon cœur.

— Hum ! répéta le factotum, mais sur un autre ton. Si vous avez un avis à demander, Athanase est votre homme en effet ; mais vous ne pouvez aller tout droit chez lui comme vous iriez chez un médecin ou chez un homme de loi dont la profession est d’écouter tous ceux qui vont lui conter leurs affaires. Il faut que quelqu’un vous présente à lui, vous recommande, et réponde pour vous.

— C’est vrai ; mais vous qui me connaissez, ne pourriez-vous répondre pour moi ?

— Je ne demande pas mieux que d’être utile à un jeune homme aussi généreux, aussi grand seigneur que vous ; mais, voyez-vous, mon cher, tout mon temps est pris, et s’il faut que je me dérange pour m’occuper de vos affaires, c’est absolument comme si je dépensais de l’argent. Chaque heure que j’emploie au service de mon maître me vaut deux piastres et demie.

— Eh bien ! je vous en donnerai trois.

— Chut ! ne parlons pas de piastres entre nous. Je ne veux pas de votre argent, et d’ailleurs vous n’en avez pas. Je vous ai dit cela seulement pour que vous compreniez, combien il faut que je vous sois attaché, puisque je sacrifie dans votre intérêt un temps qui m’est si précieux… Vous avez une belle vigne, m’a-t-on dit : vous donne-t-elle beaucoup de raisin ? Ah ! comme j’aime le raisin ! Je ne suis jamais malade quand le raisin ne me manque pas.

— Je vous enverrai du raisin aussitôt que je serai de retour au village ; je vous en enverrai un panier chaque semaine.

— Non, non, mon ami, de temps en temps, et pas davantage. Je suis sûr aussi que vous faites de l’excellent bekmès, du véritable bekmès, que l’on conserve dans des boîtes en bois blanc, non pas de cette drogue liquide que font les habitans de cette maudite petite ville, et qui me soulève le cœur.

— Oui, oui, nous faisons du bekmès comme vous l’aimez. Il nous en reste encore quelques boîtes de l’année dernière, et je vous les enverrai.

— Oh ! pas toutes, une ou deux… Allons, disons trois, pourvu