Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

casion pour renaître, comme le phénix, de ses cendres. Le banquier ruiné ne tarda pas, on le comprend, à se dégoûter du séjour de la capitale, où peut-être bien il courait quelque danger, et il écouta la voix de son cœur, qui le rappelait impérieusement aux lieux où il avait vu le jour, auprès de sa vieille mère, de ses païens, et de ses amis. Il trouva encore moyen de faire le voyage sans bourse délier, en se constituant le guide et le cicérone d’une société de touristes européens, qu’il s’engagea à conduire à Trébizonde, et qu’il dirigea adroitement vers sa propre province, où il les quitta en prétextant une maladie subite causée par les fatigues mêmes du voyage, ce qui lui valut une forte indemnité, payée avec empressement par les généreux touristes. Après avoir vu les candides voyageurs se décider à continuer sans guide leur marche vers Trébizonde (Dieu sait où ils allèrent aboutir !), Athanase rentra paisiblement sous le toit paternel. Son père et ses frères étaient morts ; sa mère et ses sœurs menaient, malgré leur misère, une vie plus gaie que régulière. Il employa l’argent que lui avaient laissé les bons voyageurs à se poser en homme riche, puis il exploita sa réputation aux dépens de ses concitoyens. La position qu’il se fit alors, et dans laquelle il se maintenait encore à l’époque où nous l’avons trouvé dans l’antichambre du capitaine, constitue à mon avis l’une des singularités les plus frappantes que la société orientale présente à l’observateur chrétien.

Malgré son ostentation et l’argent qu’Athanase dépensa réellement pendant les premiers mois qui suivirent son retour à Angora, le bruit ne tarda pas à se répandre qu’il ne possédait rien ; mais cette conviction, qui s’empara peu à peu de la population tout entière, ne fit qu’ajouter à l’admiration et au respect que l’ancien banquier d’un pacha, le chargé d’affaires d’un déré-bey, le visiteur intrépide des quatre parties du monde inspirait naturellement. Tous les métiers, toutes les professions de l’Orient, avaient leurs représentans dans la ville d’Angora. Athanase donnait des leçons ou des conseils à tous les artisans : ni ces leçons ni ces conseils n’étaient fournis gratuitement aux ouvriers, qui se trouvaient toujours un peu plus pauvres après avoir causé avec Athanase, ce qui ne les empêchait pas de se regarder comme ses obligés. Athanase avait-il besoin d’un habit, d’une pièce d’étoffe, d’un quartier de mouton, d’une livre de tabac, de café, de sucre ou de chandelle, il entrait dans la première boutique, choisissait et emportait la marchandise en grondant le marchand de ce qu’il ne lui en offrait pas de meilleure, et le menaçait de lui retirer sa pratique, s’il ne s’amendait pas. Jamais il ne payait rien de ce qu’il achetait, mais il savait faire reluire dans un vague lointain aux yeux du marchand interdit une récompense si