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pas une entière confiance dans les remèdes secrets. Cependant vous le voulez absolument, et je ne puis rien vous refuser. Rappelez-vous pourtant que vous devez nourrir votre cheval jusqu’au jour où son sort sera décidé ; s’il guérit et qu’il devienne capable de me servir, oh ! alors je m’en charge. » Et pendant un temps plus ou moins long le propriétaire du cheval malade nourrissait non-seulement ce dernier, qui ne lui appartenait plus, mais le pur sang d’Athanase, tout en s’étonnant in petto de l’appétit extraordinaire que la maladie communiquait aux chevaux.

Athanase ne reculait jamais devant une friponnerie, quelque inique et dangereuse qu’elle fût, ou quelque insignifiant qu’en parût le résultat. Jamais il n’éprouvait ni fatigue, ni scrupule. Les circonstances les plus ordinaires, les conversations les plus banales, un orage, le beau temps, les nouvelles politiques, tout devenait pour lui un moyen de s’enrichir. Son esprit était perpétuellement aux aguets, et si quelqu’un eût pu lire la multitude de projets qui s’y ourdissaient et s’y développaient incessamment, il se fût écrié : « Voici le génie de la fraude, » et il eût dit vrai.

Quel était en définitive le résultat de cette singulière conduite ? Athanase, aussi pauvre que Job, devait de l’argent à tout le monde, ce qui n’empêchait personne de lui en prêter encore. Il était généralement méprisé et peu aimé, mais on le craignait, tout en ayant un certain goût pour lui. On le trouvait amusant, on le croyait merveilleusement érudit et savant. En réalité, il connaissait tout le monde et chacun, le caractère, les moyens, les ressources de tous les habitans de la ville. Si un tel homme n’avait jamais subi de condamnation judiciaire, c’était grâce à la législation orientale, qui n’admet la culpabilité d’un accusé que sur le témoignage direct d’au moins deux témoins oculaires. D’ailleurs, placé sous une autre législation, il eût trouvé d’autres moyens de salut, il n’en faut pas douter.

J’ai cru devoir m’étendre un peu longuement sur ce personnage : tout un côté de la civilisation orientale, l’influence bizarre du Grec sur le Turc et même sur l’Européen, se résume dans la physionomie de ce digne petit-fils d’Ulysse. Encore ne sais-je trop si Athanase ne l’emportait pas comme génie inventif sur son illustre aïeul. Placez notre Grec dans le conseil des généraux, sous les murs de Troie : jamais cette ville n’eût été prise, et jamais non plus les Grecs n’eussent été battus ; le siège de Troie se fût prolongé autant que la vie d’Athanase, et les deux peuples se fussent ruinés à son profit.

VI.

Tel est l’homme chez qui Benjamin se rendit un matin, accompagné du factotum du capitaine, lequel avait déjà, par avance, perçu