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— Bah ! s’écria Benjamin, au comble de l’étonnement.

— C’est comme je vous le dis, mon cher ami, et je suppose qu’un pareil arrangement vous conviendrait.

— Je serais bien difficile, s’il ne me convenait pas ; mais en attendant que la vacance se présente, comment serais-je traité ?

— Comme un jeune homme qui suit la carrière des armes pour s’amuser, et qui n’est tenu à… presque rien… jusqu’au moment où il devient capitaine, major, colonel, ou même général.

— Mais ne faudrait-il pas consulter d’abord mon père ?

— Oh ! si vous en êtes là, il vaut mieux ne plus y penser.

Et Athanase fit mine de se diriger vers la porte. Aussitôt le pauvre jeune homme, véritablement effrayé, se précipita au-devant de l’irascible docteur, et le supplia, avec des larmes dans les yeux, de lui pardonner ce moment d’involontaire hésitation. Athanase ne parut pas complètement inexorable.

— Croyez-vous que mon départ cause de la peine à mon père,… à Sarah ? balbutia Benjamin.

— Elle regrettera sans doute un mari pour sa fille, répondit Athanase, et l’on affirme d’ailleurs que les sorcières éprouvent de secrètes jouissances proportionnées aux tortures qu’elles infligent à leurs victimes.

Benjamin baissa les yeux, poussa un soupir, et renouvela la promesse qu’exigeait Athanase. Avant de se séparer, le Grec et le jeune Turc convinrent des démarches à faire dans l’intérêt de ce dernier. Benjamin protesta de sa reconnaissance, et supplia Athanase de disposer librement de lui et de tout ce qui lui appartenait, ainsi que de tout ce qui pourrait lui appartenir un jour, lorsque les beaux projets formés pour son avenir seraient exécutés et auraient réussi. Athanase sourit. — Dans deux jours, assura-t-il, l’engagement sera prêt, vous n’aurez qu’à le signer et à partir. — Il conseilla au futur soldat d’employer ces deux jours à s’équiper convenablement, lui et son cheval, parce que les jeunes gens qui s’enrôlaient dans ces conditions spéciales s’équipaient à leurs frais, et faisaient même un présent plus ou moins considérable à leur chef, ce qui n’était du reste que simple et pure justice. Le fils de Mehemmedda se montra quelque peu embarrassé du nouvel aspect sous lequel Athanase lui présentait pour la première fois sa situation. Comment pourrait-il en si peu de temps, séparé de sa famille, se procurer les fonds et les objets nécessaires ?

— Et les trois mille piastres ? répondit Athanase. Je savais bien qu’elles ne seraient pas de trop.

Et ils se quittèrent là-dessus.