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sa personne la dignité humaine méconnue, et d’être traité, pour délit de libéralisme, comme un voleur ou un assassin. Quant à Poggei, incapable de comprendre le prix d’une semblable conquête pour des hommes de cœur, il était loin de s’associer à l’enthousiasme général ; il se plaignait amèrement de l’insignifiance des réformes accordées et soutenait que le gouvernement aurait pu sans danger faire de plus larges concessions. L’instinct populaire fut, en cette occasion, plus politique que toute la finesse des habiles ; la moindre réforme, étant un coup porté à l’Autriche, devait être accueillie avec reconnaissance. Les démonstrations de la joie publique devinrent si éclatantes, que Poggei jugea prudent de s’y associer. Il cessa de murmurer les mots de tromperie et de trahison pour parcourir les rues, une large cocarde sur la poitrine et une bannière à la main ; il embrassait les ouvriers, les portefaix, criait : vive le roi ! vivent les réformes ! se faisait le promoteur d’un banquet pour le corps des avocats, y prononçait un long discours bien chaleureux, qu’il faisait ensuite imprimer et distribuer dans la ville par milliers d’exemplaires. Convive et orateur dans tous les banquets qui suivirent, il vit bientôt son portrait lithographie s’étaler derrière les vitres des principales boutiques de la capitale, comme celui d’un grand citoyen. Enfin, pour continuer l’édifice de sa réputation si adroitement commencé, Poggei transforma son journal littéraire en un journal politique. Il lui donna un titre séduisant, la Conciliation, et y accueillit tous les hommes de talent qui avaient à faire oublier leurs opinions passées. Son patriotisme cependant ne lui faisait pas négliger ses intérêts personnels : de sa propre autorité, il se créa directeur et administrateur du journal transformé, et s’alloua une somme annuelle de 5,000 livres pour s’indemniser de ses fatigues et de ses peines.

En voyant son libéralisme osciller comme un pendule entre la modération et l’enthousiasme, suivant les circonstances, et devenir pour ainsi dire le thermomètre de l’opinion, personne ne s’étonnera, j’imagine, que, même au temps de sa plus grande ferveur, l’avocat Poggei n’ait pas négligé certaines relations qui pouvaient en d’autres temps lui redevenir utiles. Il se rendait dans les salons le soir, ce qui lui évitait l’inconvénient d’être vu par ses amis de la place publique ; on le recevait comme un parasite, par un reste d’habitude, ou comme un instrument qu’il ne fallait pas dédaigner. En mettant le pied sur le seuil, il se dépouillait de ses allures populaires ; là aussi l’on aurait pu le prendre comme un thermomètre. Triste et abattu dans les commencemens, il se montra bientôt menaçant et courroucé, plus tard moqueur et ironique, à l’imitation de ses nobles protecteurs. Bourgeois, il souriait et applaudissait à toutes les insultes prodiguées à la bourgeoisie. Qu’étaient pour lui des sacrifices