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quatorze jours : le pape avait toutefois obtenu de lui qu’il s’abstiendrait de l’incendie ; or c’est l’incendie qui pouvait surtout être funeste aux monumens. Le pillage devait se porter sur l’argent, les bijoux, les vases précieux ; mais on n’emporte pas les temples.

Un médecin, homme d’esprit, qu’impatientaient les mauvaises plaisanteries sur les docteurs qui tuent leurs malades, disait : « Il n’est pas si aisé qu’on le croit de tuer un homme. » Il est encore moins facile à un peuple peu avancé dans les arts de la civilisation de détruire des monumens et surtout des monumens aussi solides que ceux des Romains. Comment les Goths et les Vandales seraient-ils venus à bout de disjoindre des pierres liées par un ciment tenace, et cela sans nul profit, de scier des colonnes dont ils n’avaient que faire ? La destruction des monumens ne s’est opérée en grand que lorsqu’on a eu besoin de matériaux pour construire de nouveaux édifices. C’est pour bâtir qu’on démolit, et non pour le plaisir de démolir. Les Barbares ne démolissaient point, parce qu’ils étaient des barbares qui ne construisaient point. C’est quand on a bâti une Rome nouvelle que la Rome ancienne a presque disparu. Chose singulière et naturelle, c’est la renaissance qui a porté le coup mortel à l’antiquité.

Une opinion fort répandue veut que les Barbares aient jeté beaucoup de choses dans le Tibre. On répète souvent qu’il faudrait détourner le cours du fleuve et en fouiller le lit. Je ne m’y oppose pas, et je crois volontiers que cette fouille d’un genre nouveau serait fructueuse, car, pendant une longue suite de siècles, divers accidens ont pu conduire des objets précieux dans le lit du Tibre ; mais il ne faudrait pas concevoir à ce sujet des espérances exagérées. On ne jette de propos délibéré des statues dans un fleuve que lorsque, mû par un sentiment d’hostilité, on veut les anéantir. Or ce sentiment hostile, les Barbares, comme je l’ai dit, ne l’avaient point pour les objets d’art. Et puis, dans ce cas même, on brise sur place l’objet de sa fureur plutôt qu’on ne se donne la peine de le transporter au loin pour avoir le plaisir de le noyer. Les chrétiens, qui seuls ont pu en vouloir sérieusement aux statues antiques, n’avaient pas besoin de prendre tant de peine pour s’en débarrasser : quelques coups de marteau étaient bientôt donnés. Je crois donc que des fouilles faites dans les quartiers de Rome où l’on n’a jamais creusé, parce qu’ils ont toujours été habités, fourniraient une récolte encore plus abondante que les eaux du Tibre, car les colonnes gisantes des temples, plus souvent délaissées que détruites, les statues couchées dans la poussière, plus souvent mutilées qu’entièrement fracassées, peuvent se trouver sous les débris longuement accumulés qui les ont bientôt recouvertes, et n’ont pas tardé à les protéger.

Non-seulement les Barbares n’ont pas détruit à Rome autant qu’on