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toutes les fabriques, n’eût été légitime en tout cas, si jamais il pouvait l’être, qu’autant qu’il y eût eu alors uniformité de gages payés par tous les maîtres de Preston, et cela n’était pas. Depuis 1847, époque de souffrances pour l’industrie et le commerce pendant laquelle tous les salaires avaient subi une réduction, la paie de l’ouvrier, dans certaines manufactures avait été élevée de 20, de 30 pour 100, dans quelques autres de 10 seulement ou de moins encore. Fallait-il donc exiger autant de celui qui avait tout donné que de celui qui, à tort où à raison, persistait à tout refuser ? Mais les meneurs ne s’y étaient pas trompés, ils visaient à un autre but qu’une équitable rémunération du travail ; ils voulaient que le capital leur fût soumis, et qu’à sa tyrannie, longtemps exercée sur eux, disaient-ils, succédât enfin l’empire de l’ouvrier, instrument réel de la richesse publique. Au fond, il leur importait peu que les 10 pour 100 ou plus ou moins fussent accordés ; ils ne s’inquiétaient pas qu’il y eût iniquité, vis-à-vis de leurs propres camarades, à demander autant pour les uns et à ne pas exiger plus pour les autres : avant tout, ils songeaient au succès, à la domination qu’ils mettraient entre leurs mains, et dix pour cent n’était qu’un cri de guerre qu’ils avaient cru propre à rallier les masses et à les animer au combat. Il leur fallait un mot clair, intelligible et invariablement répété : ils trouvèrent celui de dix pour cent, et ils l’adoptèrent comme ils auraient fait de tout autre, sans tenir au sens qu’il semblait avoir et sans prendre la peine de le définir à ceux qui le poussaient. Leur calcul avait été juste : s’ils s’étaient laissé aller à la discussion raisonnée du gouvernement et de l’exploitation d’une manufacture, s’ils avaient essayé de discourir sur les prix de la matière première comparés à ceux des produits fabriqués, sur les gains et profits du maître mis en regard de ceux de l’ouvrier, quelque éloquence qu’ils y eussent dépensée, les masses seraient restées plus froides. On leur aurait répondu d’ailleurs, et souvent de manière à faire douter les plus intéressés de l’excellence de leurs argumens, car la réforme demandée était en définitive impraticable, et on l’eût assurément abandonnée le lendemain du succès, si le succès fût venu. Mais les chefs du mouvement déclamaient, sans sortir de la phraséologie, sur les riches habitations des manufacturiers, leurs nombreux serviteurs, leurs tables bien servies, leurs coûteux équipages ; ils jetaient en finissant leur cri de « dix pour cent, point de capitulation, » et l’effet était irrésistible. Répété de bouche en bouche, salué par les hurrah aux meetings, invoqué au foyer domestique comme une panacée assurée contre tous les maux, ce mot finit par acquérir une incroyable puissance. À chaque réunion, on se séparait en jurant de ne reprendre les travaux qu’après la concession pleine, entière et