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nouvelle commence pour sa pensée. Mûri par la pratique des choses, riche d’observations et d’épreuves, il refait les livres de sa jeunesse en même temps qu’il en compose de nouveaux, où se déploie avec une verve rajeunie son zèle d’instituteur populaire. Ce sont ces dernières œuvres que je veux interroger. Spinoza et Poète et Marchand, l’Écrin du Compère et la Fille aux pieds nus, ces quatre ouvrages nous révéleront d’une manière précise l’inspiration présente de M. Auerbach ; au moment où ce loyal penseur cherche à se renouveler, c’est l’heure pour la critique de lui venir en aide, c’est-à-dire de l’encourager par une sympathique attention, et de lui révéler franchement ce qui lui manque.

On sait que M. Berthold Auerbach, comme tant d’autres écrivains célèbres de son pays, est d’origine israélite ; sa première inspiration, quand il prit la plume, fut de peindre les mœurs juives et surtout de glorifier les services rendus à l’humanité par les hommes de sa race. Sous le titre général de Ghetto (c’est le nom des quartiers où sont confinés les juifs dans les villes d’Italie et d’Allemagne), il voulait publier une série de romans consacrés aux plus nobles fils d’Israël. La philosophie, la science, la civilisation, ont toute une légende de héros et de martyrs ; Israël n’a-t-il pas eu les siens ? Parmi les juifs du moyen âge, parmi ceux de la renaissance et des deux derniers siècles, n’y a-t-il pas eu des hommes qui ont combattu et souffert pour le genre humain ? Peindre ces souffrances, raconter ces combats, montrer des juifs associés de cœur et d’âme au mouvement libéral des sociétés chrétiennes, n’est-ce pas ébranler les barrières qui se dressent encore pour les repousser ? Telle était l’ambition du jeune conteur. Il s’attacha particulièrement au XVIIe, et au XVIIIe siècle ; un grand philosophe, Spinoza, un poète à peu près inconnu, mais très spirituel et très fin, Éphraïm Kuh, l’attirèrent par le contraste, et M. Auerbach écrivit ses deux premiers romans. C’étaient des œuvres incomplètes ; l’inexpérience s’y faisait trop sentir, la déclamation n’y manquait pas ; l’auteur ne possédait pas encore cette sérénité de l’esprit, cette vérité et cette mesure de langage qui peuvent seules donner tout son prix à une prédication de ce genre. Les deux romans de M. Auerbach reparaissent aujourd’hui sous une forme plus savante : on peut dire que ce sont des œuvres nouvelles. Or l’auteur des Histoires de Village dans la Forêt-Noire n’est connu que par ces rustiques peintures, auxquelles il doit sa renommée ; aura-t-il maintenu son rang en traitant un sujet d’une nature plus complexe et plus haute ? Sortira-t-il enfin de ce domaine un peu restreint où il semblait vouloir s’enfermer ? S’est-il préparé par l’étude des choses passées à la peinture de la société présente, à cette peinture plus grande, plus périlleuse, qui appelle et sollicite