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légitimes à en obtenir de meilleurs que par le passé : il s’agit pour vos patrons de vous maintenir en une soumission absolue, d’être, en tout temps et en toute circonstance, les maîtres arbitraires de votre sort. Dans Preston, vingt-cinq mille de vos camarades peuplent les rues, livrés au désespoir. N’est-il pas lamentable que cet exemple et tant d’autres avant celui-là n’aient pas prouvé aux ouvriers de l’Angleterre que, tant qu’ils resteront isolés, sans lien entre eux qui fasse leur force, ils seront à la merci de l’influence et du pouvoir gigantesque du capital ? Venez donc en aide à ceux qui combattent pour votre indépendance de travailleurs, fournissez-leur le moyen de faire l’expérience et de voir si à tout jamais les ouvriers doivent vivre esclaves des hommes d’argent. »

Malgré l’esprit tolérant de la législation britannique, malgré la liberté, on pourrait dire illimitée, d’association qu’elle autorise, il est douteux que le gouvernement fût resté témoin impassible de celle que l’on projetait alors, et qu’il ne se fût pas alarmé de ce nouvel état que l’on prétendait constituer dans l’état. Le bon sens des ouvriers lui épargna heureusement cet embarras : ils ne prêtèrent pas l’oreille aux appels qui leur étaient faits ; ils continuèrent de payer leurs contributions à leurs camarades de Preston, mais ils refusèrent celles qu’on leur demandait pour l’établissement d’un parlement du travail. Le journal de M. Reynold, the Reynold’s paper, celui de M. Ernest Jones, the People’s paper, eurent beau vanter l’excellence de l’institution : le peuple se souvint de ce que lui avaient coûté les prédications socialistes d’O’Gonnor et de Hunt, et il dédaigna celles de Jones, qui se vantait d’être le disciple de ces deux apôtres.


IV

Ces deux échecs portés à la cause des ouvriers n’empêchaient pas toutefois que la position des fabricans ne devînt de jour en jour plus critique. Le chômage de leurs métiers menaçait d’être bientôt une cause de ruine pour beaucoup d’entre eux, à qui la banqueroute apparaissait déjà en perspective. Avec un capital fixe de plus de 1 million sterling devenu tout à fait improductif, les pertes que chaque mois de résistance accumulait devaient nécessairement aboutir à une catastrophe. Les meneurs ne l’ignoraient pas ; leur langage respirait une superbe confiance ; ils annonçaient hautement aux ouvriers que la partie allait enfin être gagnée par eux, et qu’il ne restait à leurs patrons d’autre ressource que de se rendre à discrétion. Il en eût été ainsi en effet, si un seul des manufacturiers eût cédé ; la cause de tous était perdue, et cependant quelques-uns