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marché littéraire. Vieilles et nouvelles brochures, récits de voyages en Orient, plans de réorganisation de l’armée indigène, plaidoyers pour ou contre la compagnie des Indes, conseils au gouvernement pour la réforme de l’administration de l’empire indien, voilà ce qui compose le bagage littéraire du dernier semestre de l’année 1857, et ce que le public anglais lit et achète avec empressement.

Comme nous n’avons pas les mêmes raisons d’empressement que le public anglais, nous nous serions dispensé d’entretenir nos lecteurs de cette littérature, si, au milieu de l’innombrable quantité de livres publiés récemment, nous n’en avions distingué un qui joint à cet intérêt de circonstance un intérêt plus général. Ce livre, écrit en langue anglaise par un musulman de l’Inde qui a été longtemps au service de la compagnie, édité par un orientaliste anglais, M. Eastwick, n’a été certainement ni écrit ni publié en vue des circonstances actuelles. Il est arrivé au moment même de la crise, mais ce n’est pas elle qui lui a donné naissance. Si l’insurrection prête à ce livre un intérêt de plus, il n’avait pas besoin d’elle pour être amusant et instructif. On l’aurait trouvé curieux en tout temps, et j’ajouterai même qu’il est jusqu’à un certain point désavantageux pour le gentilhomme mahométan que son autobiographie ait paru pendant la guerre : c’était plutôt un livre fait pour être lu pendant que la domination anglaise régnait paisiblement sur l’Inde. En effet le charme, l’attrait de ce livre est surtout moral. Il ne contient aucune révélation politique, il ne jette aucun jour sur les haines qui séparent dans l’Inde les races gouvernantes des races gouvernées. Si le gentilhomme musulman en sait plus long qu’il n’en dit sur les sentimens véritables de ses coreligionnaires, il a bien gardé son secret, et possède certainement cette discrétion orientale qui est si voisine de la duplicité et de l’hypocrisie. Les chrétiens non-seulement n’y sont pas maudits, mais ils sont appréciés à plusieurs reprises avec impartialité et tolérance. Si l’auteur n’a aucun parti pris contre l’Angleterre et le christianisme, il en a moins encore, ainsi qu’on peut le supposer, contre ses coreligionnaires et les diverses races orientales qui habitent le territoire indien. En écrivant ses mémoires, il semble n’avoir eu en vue que de raconter les aventures de sa longue vie de voyages, et il les raconte avec sobriété, concision et candeur, sans la moindre emphase orientale. Aucun artifice d’artiste ne vient d’ailleurs nous mettre en garde contre la véracité du narrateur ; les incidens et les spectacles, de quelque nature qu’ils soient, qui se présentent à lui ont à ses yeux la même valeur. Il raconte indifféremment ce qu’il a vu et ce qu’il sait, n’oublie pas une des étapes de son itinéraire, et se garde bien, dès qu’il met le pied dans une ville nouvelle, de passer sous silence l’année de sa fondation et l’histoire des familles qui l’ont