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dévotieuse, et ses plaintes ne sont ni d’un fanatique, ni d’un charlatan. Quand il déplore la décadence du mahométisme, ce n’est pas, sur la perte des superstitions qu’il s’afflige, mais sur la perte des pratiques religieuses favorables à la moralité et à la pureté de l’âme. Il s’indigne de voir préférer aux coutumes introduites par la loi du Koran des coutumes qui s’éloignent du mahométisme. Ainsi il fut soumis à l’opération de la circoncision, coutume plus mosaïque que mahométane, et il fait à ce sujet sur l’état présent du mahométisme des réflexions assez curieuses pour mériter d’être rapportées :

« Ici j’exprimerai ma surprise de voir les musulmans adhérer si strictement à cette opération cruelle et quelquefois fatale, quoique le sacré Koran se taise entièrement à ce sujet. Le sens commun devrait suffire pour apprendre à nos coreligionnaires qu’on ne doit priver aucun fils d’Adam de ce qui lui a été accordé par la nature : Haec membrana data est pro praeservatione sensationis peculiaris et procreationis. Et néanmoins, malgré cette observance scrupuleuse d’un rite qui ne nous a pas été imposé, un grand nombre de croyans à notre époque négligent bien des pratiques qui nous ont été strictement recommandées par le Koran : ainsi la prière cinq fois par jour, les trente jours de jeûne annuel, le don des aumônes jusqu’à la quarantième partie de son revenu, et le pèlerinage à La Mecque une fois dans la vie, si cela est possible au croyant. Le Koran défend aux vrais croyans de faire usage des liqueurs enivrantes, et de recevoir ou de payer intérêt pour l’argent prêté. Je suis affligé d’avouer que ces devoirs religieux, ainsi que bien d’autres, sont peu pratiqués par les musulmans à l’époque où nous vivons. Les prières et les jeûnes ne sont observés que par très peu de personnes, même parmi les plus religieuses, et il n’y a pas plus d’un riche sur mille qui fasse les aumônes prescrites. Le pèlerinage est accompli par très peu de personnes riches ou importantes ; il est laissé en général aux pauvres diables qui sont inutiles au monde comme à eux-mêmes. Ceux qui s’abstiennent de drogues ou de liqueurs enivrantes sont à peu près dans la proportion de un sur cinq mille, et je puis dire avec assurance qu’il n’y a absolument aucun musulman qui s’abstienne du crime de transaction usuraire. Le secret mystérieux de la naissance et de la mort des religions est connu seulement de l’Être suprême et omniscient ; ses actes doivent être tenus pour très sages, et ils sont insondables pour les plus grands philosophes. Je me tairai donc sur ce sujet, laissant les choses suivre leur cours, comme il plaira à sa toute puissante volonté, en me contentant de gouverner ma vie selon la loi de son bienheureux prophète. Un mortel comme moi ne doit pas dévier du sentier qui a été suivi par cent vingt millions d’hommes depuis plus de douze siècles et demi. Comme le poète anglais l’observe fort bien, ta personne n’est que poussière, ta stature n’est que d’un empan, ta vie n’est qu’une minute, homme, folle créature ! »

Ces paroles font certes honneur à l’âme de Lutfullah, et cependant je ne les ai pas citées seulement pour les recommander à l’admiration du lecteur. Lutfullah, qui s’offre à nous comme le repré-