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chez les rabbins de la Hollande toutes les passions haineuses des inquisiteurs portugais. Ses luttes avec les synagogues d’Amsterdam sont célèbres dans l’histoire des juifs. Frappé d’excommunication deux fois, il parut disposé à se soumettre, et il subit en effet de rudes épreuves pour effacer la malédiction des rabbins ; un jour cependant, emporté par la colère, il tira un coup de pistolet à l’un de ses persécuteurs, puis, le coup ayant manqué, il tourna son arme contre lui-même et se fit sauter la cervelle.

Ces israélites portugais avaient donc apporté en Hollande des inspirations très libres, très audacieuses, en même temps qu’ils avaient provoqué chez les rabbins une réaction impitoyable. C’est au milieu de ces deux influences que grandit Spinoza. Dès le premier chapitre, nous voyons le jeune Baruch, à peine âgé de quinze ans, assister à l’enterrement d’Uriel Acosta dans le cimetière de la synagogue. Point de chants, point de prières, aucune cérémonie religieuse. Des groupes de curieux sont disséminés autour de la fosse, et si quelques paroles s’élèvent, ce sont des paroles de haine. Les fanatiques dont la rage a poussé Uriel Acosta à de si tragiques violences le poursuivent encore dans le tombeau. C’est une cruelle oraison funèbre que lui font ces bouches envenimées. Seul, le jeune Baruch est saisi d’une sympathique tristesse en présence de cette fosse, et tandis que le concert d’outrages va grossissant, il songe à tout ce qu’il y avait de noblesse et d’enthousiasme dans l’âme du malheureux qui s’est tué. Baruch est dévoué à la foi de ses ancêtres, mais il a horreur du fanatisme. Piété, humanité, ces deux choses se développent ensemble dans son cœur ; il ne saurait les séparer l’une de l’autre, et s’il est obligé un jour de choisir entre la religion de sa race et les principes de l’humanité moderne, on sent déjà que son choix ne sera pas douteux.

Cette éducation intérieure de Spinoza est racontée avec beaucoup d’art. Des épisodes habilement amenés expliquent la naissance de l’esprit philosophique dans cette âme pieuse et loyale. Comment ne serait-il pas disposé à la tolérance en se rappelant l’histoire de sa famille ? Un des meilleurs chapitres du roman, c’est le récit de cette douloureuse histoire écrit par le père à l’intention du fils. L’heure est venue où Baruch doit être initié à ces secrets ; il ouvre le manuscrit… Quelles révélations ! Sa mère était une moresque, une musulmane ; c’est au milieu des persécutions les plus odieuses que le juif et la moresque se sont aimés. Par une heureuse combinaison du récit, c’est le jour même où le jeune Baruch vient d’être reçu rabbin dans la synagogue crue son père lui a confié ce manuscrit. La cérémonie s’était passée de la façon la plus touchante ; tout le monde aimait ce jeune rabbin si pieux et si grave, les plus grands docteurs