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Les animaux les plus cruels sont également les plus lâches. Aussi la lâcheté orientale est-elle proverbiale. Il ne serait pas juste d’ailleurs d’attribuer cette lâcheté seulement à des instincts cruels. Les Orientaux ont une vertu qui d’ordinaire encourage ce vice déshonorant : ils n’ont pas de vanité, et le respect humain leur est inconnu. L’Oriental n’a aucune honte, et de même qu’il étale hardiment ses misères et ses difformités, il étale naïvement ses vices moraux. Il est lâche à l’occasion comme il est mendiant, sans pudeur ni scrupule. La mère de Lutfullah se remaria : la femme n’ayant pour ainsi dire d’existence individuelle dans la loi musulmane que par son mari, la condition de veuve est pour elle la moins enviable de toutes. Son premier mari avait été un homme de caste sacerdotale, le second fut un soldat ; il s’appelait Mynâbee, et était officier au service de la mère de Daulat-Rao’-Sindhiah, rajah de Gwalior. C’était un homme de quarante ans, nous dit Lutfullah, d’une grande stature, bien fait, mais avec une énorme bedaine semi-ovale. « Il avait le teint noir et l’âme plus noire que le cœur d’un infidèle, car il était entièrement illettré et adonné aux intrigues de ce monde. » C’était en un mot un type parfait de spadassin et de matamore. L’apparence est trompeuse chez les Orientaux. L’air martial, le feu des yeux, l’orgueil imprimé sur les traits font croire au courage : pure illusion ! cette physionomie ardente et mâle n’est pas due aux qualités de l’âme, mais aux instincts sauvages de la matière. Mynâbee avait su conquérir la confiance de sa royale maîtresse, et avait alimenté de son mieux la discorde entre la mère et le prince son fils. La princesse mourut, et immédiatement, selon l’usage de l’Orient, son favori tomba en disgrâce. Un matin, la maison de Mynâbee fut entourée par un détachement de soldats, le sabre au poing et le fusil chargé. « Le pauvre maître de la maison, rassemblant ce qui lui restait de fermeté, eut recours aux prières ; ma mère et ses servantes, croyant que la mort était proche, s’évanouirent. Pour moi, je demeurai ferme, pensant qu’étant innocent, je ne serais pas tué, et que d’ailleurs, s’ils me mettaient à mort, je mourrais martyr et j’irais par conséquent au paradis, où je mènerais une plus belle vie dans des palais de diamans et de rubis, et en compagnie des houris, que sur cette misérable terre. » Le seul personnage courageux de la famille fut donc le petit Lutfullah : il alla à la rencontre des soldats, qui se contentaient de faire le pillage des écuries et des jardins et de garder strictement la maison jusqu’à l’arrivée des ordres du rajah. Lutfullali conseilla à son beau-père de se rendre et de ne pas faire de résistance. Le beau-père, qui tenait moins à faire preuve de bravoure qu’à sauver sa vie, adopta promptement ce conseil, mais avec une restriction im-