Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Suivez encore ce mouvement quotidien des choses. Aux crises politiques viennent se mêler les crises financières. Les incidens d’une vie ordinaire s’effacent devant des morts et des deuils. Les morts en effet, les morts qui se succèdent, ont aussi leur place dans la politique. Hier mourait subitement à Claremont une princesse connue de la France, Mme la duchesse de Nemours. La veille, elle était pleine de jeunesse et de force, venant de donner le jour à une fille ; le lendemain, elle avait disparu, sans voir venir sa fin, par un de ces accidens foudroyans que rien n’annonce : affliction nouvelle infligée à une famille déjà tant éprouvée, et surtout à cette reine Marie-Amélie, plus vénérable, s’il se peut, sous la majesté du malheur que sous la majesté du trône ! Et d’un autre côté, sans sortir de la France, le ministre de la justice, M. Abbattucci, vient de mourir aussi. Placé à la tête de la magistrature depuis l’empire, après avoir pendant longtemps figuré dans les assemblées politiques, M. Abbattucci avait su garder la modération de l’esprit, cette bonne conseillère.

Ainsi dans cette histoire de tous les jours on trouve des morts, et puis l’ouverture prochaine du corps législatif, qui doit se réunir à la fin de ce mois pour vérifier ses pouvoirs, et se constituer sauf à s’ajourner en attendant la session définitive. Puis que trouvez-vous encore ? C’est la continuation de cette crise financière et commerciale qui règne un peu partout depuis quelque temps et principalement en Amérique, d’où elle est venue. Aux États-Unis, c’est un fait constant, le désastre est universel ; il ne reste plus qu’à compter cette suite de faillites dont s’accommode trop aisément l’esprit aventureux des Américains. En Angleterre, la crise vient d’être marquée par un incident qui a produit une vive impression : c’est la suspension de paiemens de la banque de Glasgow. Le ministère de lord Palmerston vient en même temps d’autoriser la banque d’Angleterre à augmenter l’émission de ses billets. En France, la Banque vient encore une fois d’élever le taux de ses escomptes, qu’elle a porté jusqu’à 10 pour 100 pour les effets à échéance de trois mois. Pour guérir cette situation, il ne manque pas de médecins de tout genre prêts à proposer des remèdes souvent plus dangereux que la maladie elle-même. Une lettre récemment adressée par l’empereur au ministre des finances est faite pour tempérer le zèle de ces chercheurs de recettes héroïques. L’empereur est mû par la double pensée de ne point laisser l’exagération des craintes aggraver la situation actuelle, et de montrer en même temps la solidité du crédit de la France. Il repousse surtout l’idée de recourir à des remèdes empiriques qu’on n’invoque que dans les cas les plus extrêmes. C’est par des moyens réguliers et naturels en effet, c’est par l’esprit de conduite et la fermeté, qu’un pays peut traverser heureusement ces crises de la richesse et du travail.

Ce n’est pas le hasard, quoi qu’on en dise, qui dirige ce monde et produit ces anomalies ou ces crises dont la vie matérielle elle-même des peuples est souvent remplie. Il y a une logique invisible qui préside à ces mouvemens, qui les rattache à tout un ensemble de causes supérieures, et dans le trouble des faits, si vous regardez bien, vous verrez la marque du trouble, des déviations des idées. De là la nécessité invariable de maintenir l’autorité de certaines notions, cette puissance de la raison lumineuse sans laquelle tout flotte dans l’ombre, tout s’en va à la dérive, et le monde moral, et le monde