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de se faire aimer de Sarah. Il imagina d’abord de la traiter en maître attentif et bienveillant, mais impérieux, de l’accoutumer petit à petit à la soumission et à l’obéissance, de ne pas lui laisser concevoir la possibilité de la révolte ou de la résistance, et une fois établi sur ce pied, de disposer d’elle comme le maître dispose de son esclave. Ce plan de campagne échoua. Sarah exécutait en silence tous les ordres qu’Athanase lui donnait pour constater son empire, mais elle s’arrangeait de façon à paraître devant lui assez rarement pour ne pas être trop exposée à subir son ascendant ; Athanase avait oublié que Sarah n’avait point passé par l’esclavage pour arriver à la couche nuptiale, et que le rôle du maître n’était pas associé dans ses souvenirs avec ceux de l’amant ou de l’époux. Il changea donc son plan d’attaque et prit l’attitude d’un esclave soumis ; il redoubla de soins pour le petit Osman. — Cet enfant a une intelligence extraordinaire, disait-il à la jeune mère, et si vous me confiez entièrement sa direction, je vous promets d’en faire un grand homme ; mais il faut que personne ne se place entre lui et moi. Je l’aime comme s’il était mon fils, et je ne suis jamais aussi heureux que lorsqu’il est auprès de moi. — Athanase ne laissait échapper non plus aucune occasion de faire montre de sa prétendue science médicale. — Qu’a donc Osman aujourd’hui ? disait-il par exemple. Je suis sûr qu’il a la fièvre. Eh ! mon Dieu oui, et une forte fièvre encore. Que lui donnez-vous quand il a la fièvre ? — Mais… rien, répondait Sarah. — Est-il possible ! — Hélas ! effendi, reprenait la mère confuse et alarmée, que pouvons-nous faire ? que savons-nous ? Nous ne sommes que de pauvres Turcs ! — Allons, allons, ce ne sera rien, disait Athanase avec une superbe assurance, je suis arrivé à temps. Et le Grec tirait de sa poche un papier contenant quelques-unes de ses fameuses pilules qu’il faisait immédiatement avaler au pauvre enfant. Il promettait une guérison instantanée, et sans craindre de se tromper, puisque la maladie n’existait que dans sa fertile imagination ; mais la reconnaissance de Sarah était aussi vive pour ces bienfaits imaginaires qu’elle l’eût été pour des services réels.

Faut-il le dire ? Sarah ne voyait pas sans une vague satisfaction d’amour-propre cet homme si généralement admiré et redouté, cet homme dont la supériorité n’était contestée par personne, s’occuper constamment d’elle et des siens, passer à ses côtés des heures et des journées. Athanase lui parlait des pays étrangers, des mœurs bizarres qu’il y avait remarquées, des aventures et des périls qu’il avait bravés. C’était l’éternelle scène d’Othello et de Desdémone qui se jouait sous les arbres séculaires d’une vallée de l’Asie-Mineure, avec cette différence que Desdémone n’était pas une grande dame oubliant le monde entier pour s’attendrir aux récits du More, et que le More