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musulmane ! Benjamin-Bey, je vous engage à ne pas ébruiter cette affaire. Il dépend de vous qu’elle n’ait aucune suite.

— Je ne demande pas mieux, répondit Benjamin ; mais je suis venu vous faire ma confession, dans la crainte que d’autres ne fussent soupçonnés et inquiétés pour mon crime. Me promettez-vous de ne poursuivre personne pour ce meurtre ?

— Comme il vous plaira ; mais on trouvera extraordinaire que je n’arrête personne…

— Si j’apprends que quelqu’un souffre pour une action que j’ai commise, je m’accuserai publiquement devant le tribunal.

Le caïmacan regarda fixement Benjamin comme s’il eût voulu découvrir le motif caché qui lui dictait une conduite aussi bizarre. L’expression du visage de Benjamin l’embarrassa, et il abandonna aussitôt un examen dont il n’espérait aucun résultat. La conférence terminée, le caïmacan se dit à part lui : — Quel baragouin parle-t-il donc, ce jeune homme ? Je ne comprends pas la moitié de ce qu’il dit.

De retour chez lui, Benjamin trouva toute sa famille occupée à préparer la robe de noce de Sarah et les friandises pour le banquet de rigueur. Une semaine se passa ainsi, après laquelle Benjamin, certain de posséder une femme digne de lui, prit congé de ses parens et se dirigea vers Constantinople, avec sa compagne et son cortège ordinaire.


Ici s’arrête l’histoire du jeune fils de Mehemmedda, qui s’apprêtait, comme on vient de le voir, à concilier heureusement les honnêtes et laborieux instincts d’un paysan d’Asie-Mineure avec les nobles ambitions qu’éveille la civilisation occidentale dans toute âme bien douée. Le bonheur des deux époux fut-il dès les premiers jours réellement sans mélange ? Un an après son mariage, Benjamin, il faut bien le dire, était encore sujet à des distractions singulières. Son regard semblait se perdre dans le lointain, son front se plissait, et il ne sortait de cet abattement qu’en poussant un profond soupir, comme s’il eût voulu soulager sa poitrine du poids qui l’oppressait.

Un jour enfin qu’assis sur un divan il lisait les journaux d’Europe, tandis que Sarah achevait de déjeuner avec ses enfans, Benjamin poussa une exclamation de joie qui fit lever la tête à sa jeune femme. Le visage du bey s’était subitement illuminé.

— Qu’y a-t-il ? dit Sarah.

— Tu m’as souvent reproché certains momens de tristesse qui m’obsédaient même auprès de toi. Ils ne reviendront plus désormais. Je croyais avoir commis un meurtre, et j’apprends qu’il n’en