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aimable et savant homme ayant quelque peu dépassé la soixantaine, mais toujours galant et tiré à quatre épingles : la science en bas de soie et portant son chapeau sous le bras pour ne point déranger l’économie de sa coiffure. Goethe, qui dès l’enfance s’était senti du goût pour les vieillards, se lia avec lui, le consulta sur ses études et prit de sa main un répétiteur de droit, lequel eut à vaincre d’abord certaines répugnances, qui d’ailleurs ne tardèrent pas à disparaître, car, s’il faut en croire une lettre de cette époque, écrite à Mlle de Klettenberg par le jeune étudiant, « il en est de la jurisprudence comme de la bière de Merseburg : la première fois qu’on en boit, elle vous répugne, et quand on en a bu pendant une semaine, impossible de s’en lasser. » N’allez pas croire néanmoins que l’étude du droit l’absorbât tout entier. Ouvrez le livre de Schoell, ce curieux recueil, déjà cité, de lettres et de notes relatives à la jeunesse de Goethe ; parcourez le journal du poète lui-même à cette période, et vous y verrez un programme si varié, qu’on se demande comment une seule intelligence pouvait suffire à de tels exercices. Pour la médecine, il fut amené tout naturellement à l’étudier : sa complexion délicate sous des apparences de force et de santé l’avait soumis, tant à Leipzig qu’à Francfort, à des épreuves très critiques, et c’en était assez pour qu’il s’éprît d’un intérêt pratique à l’égard d’une science qui aide à la conservation et au rétablissement du plus précieux des biens. « Comment est votre santé ? écrit-il de Strasbourg à l’un de ses amis de Worms. N’ayez garde, je vous en supplie, de négliger les soins dus à ce corps, car c’est par ses yeux que voit notre âme, et si ses yeux voient trouble, il n’y a que pluie et brouillards dans le monde. Mieux que personne je suis payé pour le savoir. Il fut un temps où le monde ne m’offrait que tristesse. Le souverain docteur a raffermi dans mon corps la flamme de la vie, et le courage et la joie me sont rendus. » Il étudiait l’anatomie avec Lobstein, la chimie avec Spielmann, fréquentait la clinique des deux Ehrmann, et trouvait le moyen, au milieu de tout cela, d’élaborer des systèmes sur l’électricité, mise à la mode par la fameuse découverte de Franklin, et sur les couleurs, dont la théorie commençait déjà à passionner le futur antagoniste de Newton. Et l’alchimie que j’allais oublier, et dont on trouve une trace si frappante dans ces éphémérides dont je parlais tout à l’heure, où de baroques passages de Paracelse se mêlent à des citations d’Hippocrate et de Boerhaave ! On y remarque surtout la production de deux aphorismes de ce dernier, l’un sur la précocité de l’intelligence considérée comme symptôme de rachitisme, l’autre sur l’influence des saisons en matière d’épidémie, lesquels tendent à établir victorieusement cette corrélation entre la matière et l’esprit, entre la maladie et le système