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a été pratiquée longtemps avant d’être étudiée, et chantée avant d’être scientifiquement exposée. De l’imagination à la raison le passage est souvent difficile, et les hommes mirent bien des années à découvrir qu’une profession qui leur semblait si noble et si belle, que des rois même ne dédaignaient pas, pût être assujettie comme toutes les autres à des règles précises. Dans la production du blé, ils trouvaient quelque chose de si grandiose et de si mystérieux, qu’ils ne songeaient pas à la perfectionner comme ils amélioraient la fabrication des étoffes ou des armures. De plus, cultiver la terre est pénible : aussi l’ignorance et les goûts des cultivateurs ont-ils été longtemps un obstacle à la perfection des arts agricoles. Cette dernière cause agit encore aujourd’hui, et l’on conçoit quels lents progrès doit faire une science difficile, pratiquée par des hommes d’ordinaire grossiers, qui croient tout savoir sans rien apprendre. Ils nient les perfectionnemens sans les connaître, pensent qu’une amélioration est une injure envers leurs pères, que toute science est une pure occupation de l’esprit, et ils confondent sans cesse la routine avec l’expérience.

Par ces causes diverses, le vocabulaire des agriculteurs est rempli d’expressions qui parfois représentent des idées justes, mais qui sont toujours métaphoriques, car l’exactitude n’appartient ni aux poètes ni aux natures primitives. C’est une science qui n’a pas de termes techniques, et dont les adeptes parlent comme tout le monde, c’est-à-dire fort mal. Heureux encore quand leurs locutions figurées expriment inexactement des faits vrais ! Dans les sciences pourtant, il est presque aussi funeste de se tromper sur la forme que sur le fond, et ici la forme est presque toujours mauvaise pour un fond qui est rarement excellent. On est étonné, quand on y réfléchit, de la quantité de phrases que la raison ne saurait expliquer, et qui remplissent nos conversations journalières. Sans penser, comme l’école de Condillac, qu’une langue bien faite soit toute la science, on peut souhaiter que tous ces non-sens disparaissent, surtout lorsqu’il s’agit d’exprimer les difficultés d’un art et de les résoudre. Or les axiomes qui font le désespoir ou la sécurité des cultivateurs sont d’ordinaire inintelligibles. Pour ne citer que les plus communs, que veut-on dire lorsqu’on recommande de laisser reposer un champ après une récolte de blé ? La terre se fatigue-t-elle ? a-t-elle comme nous des muscles et des nerfs auxquels le sommeil seul peut rendre la souplesse et la sensibilité ? Tous ces organes ne frappent pas nos yeux, et je ne connais personne qui puisse au premier abord distinguer une terre reposée d’une terre lasse. Quels efforts d’ailleurs lui voit-on faire, et ne semble-t-elle pas être purement passive dans l’acte de la végétation ? On ajoute souvent que si la culture du blé