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et on ne saurait prétendre que les hommes qui ont enseigné aux industriels à faire du savon, de l’alcool ou du bleu de Prusse, ne fussent-ils jamais entrés dans une fabrique, ne soient que des théoriciens. C’est aussi par un abus de langage que l’on donne ce nom aux chimistes agriculteurs ; ils le doivent à la malveillance à laquelle sont toujours exposés ceux qui tentent de comprendre ce qu’ils font. Un temps arrivera où tous ces malentendus cesseront et où les agronomes placeront dans leur reconnaissance les noms de M. Boussingault, M. Liebig et M. Payen, à côté de ceux d’Olivier de Serres et de Mathieu de Dombasle. Alors aussi le langage scientifique sera couramment employé, car il n’est pas aussi indifférent qu’on le croit d’être compris par les autres, de se comprendre soi-même, et de ne plus parler en poète, mais en savant. C’est à la chimie qu’il appartient d’opérer cette transformation ; c’est la science la plus propre à exaucer la prière de Courier : Grand Dieu ! préserve-moi de la métaphore.


II

Rien ne se perd, rien ne se crée. Voilà le principe fondamental de la chimie agricole. Il n’y a dans le monde matériel que des transformations. C’est une expression inexacte que de dire qu’un corps se détruit. En réalité il se décompose, et ses élémens s’unissent sous une autre forme, mais ne s’anéantissent point. Le monde contient une certaine quantité de matière qui n’augmente ni ne diminue, et au moyen d’un petit nombre de corps élémentaires diversement combinés, la nature a su faire cette diversité infinie d’hommes, d’animaux, de plantes et de pierres. Non-seulement le nombre et l’essence de ces élémens ne varient point, mais ils sont matériellement les mêmes, peut-être depuis le commencement des âges. Les élémens d’un corps décomposé vont former de nouvelles substances, mais il est probable qu’aujourd’hui aucune des parcelles de la terre que nous foulons ou de l’air que nous respirons n’est neuve, c’est-à-dire n’a servi à former la chair ou le sang, les os ou les branches d’aucun homme ou d’aucun arbre. Un mouvement éternel anime la matière, et ce n’est pas sur une fantaisie, c’est sur la réalité même qu’un philosophe rêveur avait établi la théorie, devenue chimérique entre ses mains, du circulus.

Tous les livres de chimie agricole, et le nombre en est grand aujourd’hui, tous les mémoires et toutes les expériences des chimistes agriculteurs reposent sur ce principe, et sont destinés à expliquer la nature de ces transformations et les combinaisons intermédiaires entre le corps qui se détruit et celui qui se forme. Lorsqu’une graine