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les silicates et les phosphates terreux. Pour lui, l’ammoniaque employé comme engrais, quand le sol est dépourvu de sels minéraux, ressemble à l’eau-de-vie que le pauvre boit pour accroître en un temps donné les forces nécessaires à son travail : dans les deux cas, il survient un épuisement. Et rien effectivement n’est certain sous ce rapport : un hectare du plus mauvais terrain, en lui supposant 0m, 25 d’épaisseur, contient 2,000 kilog. d’ammoniaque, et les terres de qualité moyenne en ont de 8,000 à 9,000 kilog. Le meilleur engrais n’en fournit pas 100 kilog., et les plus riches récoltes n’en prélèvent pas la moitié.

Ce sont là néanmoins des nuages légers dans un ciel pur, et l’on ne peut demander la perfection à une science si récente. Peu importe que l’on discute encore sur l’absorption de l’azote dans l’air ou dans le sol, directement ou par l’intermédiaire de l’ammoniaque, puisque tous les chimistes s’accordent sur les moyens à prendre pour obtenir la meilleure récolte. Les praticiens trouvent dans la chimie agricole assez de résultats certains pour n’avoir pas à s’inquiéter de ce qui est encore problématique. Nous-même, malgré nos efforts pour éviter les détails, nous espérons avoir montré que l’introduction de la chimie dans l’agriculture pouvait être raisonnable et satisfaire en même temps les cultivateurs et les curieux, en apprenant aux uns à bien faire et aux autres pourquoi l’on fait bien. On a vu aussi, je pense, combien la chimie agricole comporte peu les généralités. On comprend qu’il est injuste de traiter de théoricien le savant qui observe scrupuleusement la nature, qui reprend matériellement dans son laboratoire les réactions qui se passent dans les champs ou les basses-cours, qui a vu de ses yeux s’accomplir tous les phénomènes de la végétation, et qui, appuyé sur la balance et le microscope, peut s’avancer hardiment dans ce chemin difficile où l’agriculteur abandonné à lui-même ne peut marcher que d’un pas incertain. Le théoricien à hypothèses est celui qui ne songe qu’aux effets du vent et du brouillard, qui consulte son baromètre pour prévoir le beau temps ou la pluie, qui s’inquiète de la lune et de son influence, qui raisonne au hasard sur les lieux où les plantes se plaisent, sur les terres froides ou chaudes, sur les champs qui se reposent ou se fatiguent, sur les effets mystérieux d’un engrais, d’un remède ou d’un aliment, — qui en un mot se dirige suivant des lois de la culture qu’il croit différentes des lois générales de la nature.


PAUL DE REMUSAT.