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caractères habituels de leurs pensées, de leurs sentimens, de leur conduite[1]. Ce n’est pas en effet une question d’étymologie que celle de savoir comment l’imagination humaine, pendant plusieurs siècles, a compris, exprimé et modifié plus ou moins dans leur expression les sentimens généraux du cœur humain, l’amour-passion, l’amour maternel, paternel, conjugal, filial, la religion, l’amitié, l’ambition, les notions du bien et du mal moral, les rapports d’égalité et de subordination entre les hommes. Si l’étude de la littérature est autre chose que l’étude de la rhétorique, ce serait incontestablement un travail très littéraire que celui qui consisterait (en laissant précisément de côté les questions de linguistique sur lesquelles d’ailleurs les recherches abondent) à choisir les romans qui ont joui de la plus grande célébrité depuis le XIIe jusqu’au XVe siècle, à étudier dans chacun d’eux et dans les versions successives de chacun d’eux les sentimens et les rapports que nous venons d’indiquer, à démêler, sous la couche plus ou moins uniforme du merveilleux imposé par la tradition, les nuances diverses qui révèlent des changemens accomplis dans l’état intellectuel et moral des générations, à montrer enfin comment la littérature romanesque part de ces premiers poèmes carlovingiens, empreints d’un cachet de simplicité et de rudesse barbares, pour aboutir graduellement à cette forme de composition en prose qui tient à la fois de l’épopée et du drame, qui, en prenant la réalité pour base, dispose les faits dans un ordre imaginaire, et s’efforce de réunir la plus grande somme d’intérêt à la plus grande somme de vraisemblance.

Une histoire de la littérature romanesque au moyen âge ainsi conçue serait une œuvre difficile, mais certainement très intéressante et très littéraire ; nous n’avons pas la prétention de l’exécuter, nous ne voulons ici qu’en effleurer quelques points, dont l’étude nous suffira pour traverser cette première période de la littérature romanesque, et arriver à celle qui précède immédiatement l’apparition du roman de d’Urfé[2].

Si nous prenons, par exemple, la plus ancienne version du poème

  1. Histoire littéraire de la France, t. XVI, p. 181.
  2. L’étude du roman au moyen âge a déjà été l’objet de divers travaux qui rentrent plus ou moins dans le programme que nous tracions tout à l’heure, mais dont aucun ne le réalise dans son ensemble. Il y a un éloquent morceau de M. Quinet publié dans cette Revue même sur les épopées françaises au XIIe siècle (1er janvier 1837) ; il y a le beau travail de M. Ampère sur la chevalerie, que la Revue a publié également (1 et 15 février 1838), sans parler de quelques-unes de ses leçons du collège de France sur le roman, qui nous ont été très utiles. Il y a aussi le savant ouvrage de M. Fauriel sur l’histoire de la poésie provençale, où l’étude des premiers romans du moyen âge tient une assez grande place, et qui fournirait également des indications précieuses à celui qui entreprendrait l’œuvre dont nous venons de parler.