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des femmes et des jeunes filles, en entourant le tout d’un cadre général de prouesses fabuleuses, de langueurs sentimentales et d’adorations passionnées. Il faut noter d’abord que les principales situations de ce roman sont presque toujours immorales. Ainsi dès les premières pages nous voyons le héros Amadis naître hors mariage des amours du roi Périon de Gaule et de la princesse Élisène, amours très effrontés, très expéditifs, grâce à un personnage de soubrette entremetteuse, Dariolette, dont le nom était devenu un nom générique à la fin du XVIe siècle. Ce roi Périon, grand voyageur et grand polygame, donne à Amadis des frères dans tous les pays qu’il traverse. Il est vrai que ce n’est pas toujours sa faute, car il rencontre des damoiselles terriblement impérieuses, notamment la jeune fille d’un comte allemand, le comte de Salandric, qui n’entreprend rien moins que d’attenter violemment à sa pudeur. Le roi Périon résiste d’abord en disant qu’il aimerait mieux mourir que de déshonorer la fille d’un homme dont il a reçu la plus affectueuse hospitalité ; mais la damoiselle, aussi ingénieuse qu’obstinée, saisit brusquement l’épée que le héros a déposée dans un coin de la chambre, la tire du fourreau, et menace Périon, non pas de le tuer, mais de se tuer elle-même à l’instant, s’il ne se résigne à ce qu’elle exige de lui, et Périon est obligé de se résigner. Nous avons vu qu’il y avait çà et là quelques scènes analogues, quoique moins vives, dans nos plus anciens romans de chevalerie, mais nous avons vu aussi que c’était généralement à des princesses sarrasines que nos vieux auteurs attribuaient des passions si éhontées. Dans l’Amadis, toute distinction de ce genre a disparu ; il semble qu’en général les rapports ordinaires y soient renversés : ou les damoiselles font les avances, ou elles sont d’une facilité qui offre presque un caractère aussi scandaleux. La belle Oriane elle-même, adorée d’Amadis comme une divinité, n’exige pas de son chevalier le respect au même degré que l’adoration ; elle aussi n’attend pas le sacrement, et avant même la fin du premier volume, le romancier se complaît à nous la montrer beaucoup plus tendre que vertueuse, s’exposant à donner à Amadis un fils qui, comme lui, devra être légitimé par mariage subséquent : un grand nombre de héros dans les vingt-quatre livres des Amadis en sont là, et même restent illégitimes toute leur vie. La bâtardise devient déjà, comme elle l’a été plus tard, une qualité essentiellement romanesque, quelquefois même elle apparaît avec des allures tout à fait bizarres. Ainsi le neuvième livre des Amadis porte ce titre singulier : « Histoire des fils d’Amadis de Grèce, Florisel de Niquée, et ensemble deux autres fils et filles engendrés insciemment par icelui Amadis en l’excellente reine Zahara de Caucase, par Claude Colet, Champenois. » Que veut dire ce romancier champenois par ces