Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans à un homme qui plus tard devait être déclaré incapable d’avoir lignée, ait éprouvé pour elle et lui ait inspiré un sentiment très tendre, quoique contenu dans les limites du devoir, et que ce soit là ce premier amour dont l’auteur de l’Astrée invoque le souvenir dans la préface du troisième volume de son roman. Ce qui est certain, c’est que, sans parler de l’obstination de d’Urfé à célébrer ce nom de Diane d’abord dans son poème de Sireine, ensuite dans son roman, où la bergère Diane joue un rôle très important et présente une physionomie plus intéressante et plus caractérisée que la physionomie un peu blafarde de la bergère Astrée, en admettant, si l’on veut, que le goût de d’Urfé pour le nom de Diane provenait uniquement de son goût pour l’ouvrage espagnol qu’il a imité, la Diane de Montemayor, il y a dans les rapports que le romancier établit tantôt entre Céladon et Astrée, tantôt entre Sylvandre et Diane, plus d’une bizarrerie qui peut s’expliquer par l’intention de reproduire, en les déguisant le plus possible, des incidens de cet amour de jeunesse, incidens occasionnés par la situation que nous avons indiquée plus haut.

Nous accorderons volontiers qu’il est moins vraisemblable que l’amour de d’Urfé pour Diane de Chateaumorand ait duré vingt ans. C’est l’évêque d’Avranches, Huet, qui, le premier, nous apprend qu’en l’épousant longtemps après l’avoir aimée, il l’épousa par calcul ; mais Huet n’en conclut pas, comme M. Bernard, qu’il ne l’avait jamais aimée. C’est qu’en effet, même en tenant pour démontrée l’assertion de Huet, ce mariage d’intérêt ne serait nullement incompatible avec un attachement plus désintéressé remontant à une époque très éloignée. Ce qui paraît malheureusement incontestable, c’est que le mariage de d’Urfé et de Diane ne tourna pas bien. Céladon, après avoir épousé Astrée, la prit en grippe ; les deux époux se séparèrent volontairement, et ils vivaient l’un en Savoie, l’autre en France[1]. Même dans ce résultat définitif nous ne saurions voir cependant une preuve décisive que d’Urfé et Diane de Chateaumorand ne s’étaient jamais aimés ; nous serions porté à croire au contraire que l’ardeur d’imagination avec laquelle l’auteur de l’Astrée se complaît à évoquer dans l’âge mûr le premier amour de sa jeunesse est peut-être d’autant plus sincère qu’il ne lui reste de cet amour qu’un lointain souvenir. L’évêque d’Avranches pense comme nous, car il concilie les deux choses en disant que d’Urfé, lorsqu’il écrivit son roman, était toujours amoureux de l’idée qu’il conservait

  1. Huet prétend que la belle Diane, tout en s’occupant exclusivement de recettes destinées à conserver son ancienne beauté, était devenue très malpropre, qu’elle était sans cesse entourée de grands chiens qui répandaient partout et jusque dans son lit une saleté insupportable.