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ont été répétés par la France entière, les chants militaires ont fait retentir toutes les casernes et tous les ateliers, et depuis vingt-cinq ans toute la jeune population des greniers parisiens, loin de redouter, la pluie et le froid, a réclamé avec le poète le retour de l’hiver :

C’est l’hiver que mon cœur implore :
Ah ! je voudrais qu’on entendit
Tinter sur la vitre sonore
Le grésil léger qui bondit.
Que me fait tout l’on vieil empire,
Tes fleurs, tes zéphyrs, tes longs jours ?
Je ne la verrai plus sourire.
Maudit printemps, reviendras-tu toujours ?

Béranger est aussi très parisien, mais beaucoup plus répréhensible, dans la manière dont il chante les sentimens amoureux. Là encore il s’adresse à un public très nombreux, mais cette fois il flatte les instincts vulgaires de son public. Cependant, sans vouloir venger la morale, examinons au point de vue de l’art cette partie de son recueil. C’est la plus faible à notre avis. Béranger aimait trop la chanson libertine, ou, pour être précis, polissonne. L’expression n’est pas trop forte, car elle est de Béranger lui-même :

Mais des sujets polissons
Le ton m’affriole.

Ces chansons ont-elles chez lui les qualités qui, en même temps qu’elles sont en quelque sorte l’excuse du poète, sont nécessaires pour donner à de tels sujets droit de cité dans le royaume de l’art ? Non, car elles n’ont pas de tempérament et ne réveillent jamais l’idée de beauté. La fougue sensuelle leur manque, elles n’expriment ni ardeurs, ni désirs, et semblent faites pour être chantées par un vieux célibataire. Leur libertinage se compose d’allusions, de calembours grivois et de sous-entendus indécens, enfilés à la suite les uns des autres comme les grains d’un chapelet composé de figures obscènes. Tout cela est déshabillé et non pas nu, cynique et non pas sensuel. Du reste, ce n’est pas seulement dans les chansons libertines que ce défaut de tempérament se laisse apercevoir. La gaieté tant célébrée de Béranger est souvent très froide et manque d’entrain : on n’y sent pas la joie de vivre, ce tapage de l’homme en bonne santé qui éclate dans les chansons de Désaugiers, et cette extravagance de bonne humeur qui distingue quelques-unes des chansons du bon Panard. Les chansons bachiques de Béranger semblent l’œuvre d’un homme qui joue un rôle qui ne lui convient pas, l’œuvre d’un tartufe d’intempérance, qui se connaît moins en gastronomie qu’il ne le prétend, et dont l’estomac doit refuser de se prêter aux exploits de la goinfrerie. S’il est un poète badin que le