Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/655

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ayant au plus haut degré ces dangereuses qualités de combustion spontanée et de vitesse incalculable. Ils sont faits pour se répandre avec la vélocité de la lumière et du fluide électrique. Il y a des épidémies qui sont contagieuses et d’autres qui ne se communiquent pas. Il en est de même des courans d’opinion et des divers genres d’opposition. Il y a des courans d’opinion qui s’arrêtent à certaines classes ; il y a des genres d’opposition qui n’attaquent que les individus, qui gagnent un à un leurs adhérens. Les refrains de Béranger sont contagieux, ils appartiennent à l’espèce d’opposition la plus maligne. Faites pour se répandre en un instant, ces chansons ont aussi tout ce qu’il faut pour exciter à la haine et au mépris des adversaires qu’elles attaquent. Dans ses chansons politiques, Béranger a employé le procédé contraire à celui qu’il emploie dans ses chansons libertines. Là il ne procède plus par allusion, il va droit au fait et nomme les choses crûment par leur nom. Il emploie le mode d’injure propre au peuple, l’injure brutale, directe, meurtrière comme le caillou lancé à bout portant, par exemple Paillasse, le Ventru, la Marquise de Prétintaille,

J’ai vengé sur ce possédé
Charette, Cobourg et Condé ;


ou bien encore il parodie (autre procédé d’injure familier au peuple) le langage, les manières et les habitudes de ses ennemis, comme dans le Marquis de Carabas, les Chantres de paroisse. Il déshonore ses adversaires dans leur langue même, l’église avec ses prières et ses oremus, l’émigration avec ses propres jactances. Une verve comique, très maîtresse d’elle-même, très précise dans sa violence, habile à s’arrêter à propos et à ne pas dépasser le but, anime enfin toutes ces petites compositions, et leur prête quelque chose de dramatique. Tel me paraît Béranger dans la chanson politique ; c’est une sorte de Tyrtée bouffon, animé d’une haine irréconciliable, mais un Tyrtée qui ne s’abandonne pas à sa colère et qui calcule ses vengeances.

Béranger a attaqué la restauration de deux manières, par le ridicule et par le sentiment national. Il a voulu que les instincts élevés participassent au combat et à la victoire. Avant de chercher comment il a compris le sentiment national, disons un mot de la valeur littéraire de ces fâcheux chants qu’on accepte généralement comme les plus beaux de Béranger, et qu’on a pompeusement qualifiées du titre d’odes. À notre avis, ses chants élevés n’ont pas la valeur de ses chansons satiriques. Béranger est beaucoup moins à son aise dans le sublime que dans le bouffon ; il n’est parfait que dans le genre trivial. Il m’est impossible de comprendre certains de ces chants tant admirés ; pour un beau vers attrapé à force d’efforts,