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monarchie limitée ou république. Rien ne semble plus contraire que ces deux systèmes, et cependant ils ont une origine commune : l’un et l’autre repoussent également l’ancien régime, c’est-à-dire l’ancienne autorité de droit divin et l’ancienne liberté privilégiée et aristocratique. On a donc vu certains hommes, selon le cours des événemens, embrasser successivement l’un et l’autre système, sans croire qu’ils étaient infidèles à leurs sentimens. Béranger est du nombre de ces hommes, et c’est à cela qu’il doit d’avoir été revendiqué par les trois partis issus de la révolution : il n’en repoussait donc aucun ; mais lequel préférait-il et jugeait-il le plus propre à accomplir cette œuvre que dans sa dernière préface il réclame du parti républicain, c’est-à-dire l’organisation de la démocratie ? Béranger avait des instincts éminemment plébéiens, il aimait avant tout l’égalité ; il était en même temps judicieux et sensé, et il aimait l’ordre. C’est assez dire comment il comprenait l’organisation sociale : une société absolument nivelée sous le protectorat de l’état démocratique. Il aimait la liberté sans doute, il l’a dit et il faut l’en croire ; mais il l’eût aimée bien davantage, s’il eût moins aimé l’égalité. Il se défiait de la liberté ; il la considérait comme un objet de luxe à l’usage des heureux et des riches, et même, en certains cas, comme une arme dangereuse qui peut se retourner contre l’égalité. Il craignait que, livrée à elle-même, une société, si nivelée qu’elle fût, ne tombât sous le gouvernement d’une oligarchie qui, si démocratique et si étendue qu’on pût la supposer, n’en constituerait pas moins une classe privilégiée. De là sa tiédeur pour la monarchie limitée et son zèle modéré pour la république. Il préférait donc le système d’organisation politique appliqué si vigoureusement par l’empereur Napoléon, et qu’on pourrait appeler la monarchie populaire. Le nom d’empereur l’aurait choqué sans doute, retirons-le : il n’en restera pas moins l’idée d’une société nivelée, sous la surveillance d’un pouvoir suprême qui a pour mission d’y maintenir l’égalité. Libéral selon les temps et les nécessités de l’opposition, républicain d’étiquette, voilà le Béranger officiel et extérieur ; démocrate d’instinct et de substance, napoléonien de système, voilà le Béranger véritable.

Béranger a grandi sous la révolution ; il avait donc une foule de préjugés et de frayeurs à l’endroit des titres proscrits par elle. Ce qui le gênait dans Napoléon, ce n’était ni l’homme ni le système, c’était le titre de roi et d’empereur ; mais il acceptait Napoléon comme le représentant de la démocratie, et son système d’organisation comme celui qui convenait le mieux à la société issue de la révolution. Dans une lettre publiée récemment, il avoue qu’au commencement de ce siècle il a voté pour le consulat à vie et contre l’empire : ce double vote renfermait tout le secret de ses opinions. Il n’a jamais dépassé cette limite, il n’est jamais allé au-delà du Na-