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voir Béranger se mettre à la suite de poètes qui devaient lui sembler des visionnaires.

Les Dernières Chansons, qu’on a publiées récemment, n’ajouteront rien à la gloire de Béranger, et ne serviront qu’à grossir le petit bagage du chansonnier, déjà trop lourd pour la postérité d’une centaine de pièces. Ce n’est pas cependant que ce recueil soit de beaucoup inférieur à ses aînés : il serait aisé d’y glaner une aussi grande quantité de jolis vers ; toutefois il y a cette remarque à faire que les vers qu’on y glanerait seraient plutôt jolis que beaux. Ce n’est pas la poésie qui mangue à ce recueil, c’est la matière poétique. La verve n’a pas disparu autant qu’on veut bien le dire ; mais les sujets sur lesquels elle aimait à s’exercer n’existent plus. Ce sont les chansons d’une muse qui s’est condamnée à la retraite ; le froid de la solitude et la monotonie d’une vie désormais sans mobile d’action l’ont enveloppée. Béranger n’a jamais eu un grand sentiment de la nature, et son imagination ingénieuse n’a jamais été inventive ; laissé seul en tête à tête avec la nature et son imagination, il n’a avec elles que des conversations assez courtes et assez peu soutenues. Il essaie de causer avec la nature, mais la conversation s’arrête souvent, l’un et l’autre étant un peu embarrassés pour se donner la réplique. Il parle avec les petits oiseaux et les merles de son jardin, qui lui sifflent quelques jolies notes dont il les remercie par quelques mots bien tournés, mais ces colloques sont rapides. Que voulez-vous, la langue des oiseaux est si difficile, et Béranger bien vieux pour se mettre à cette étude. Il fait cependant çà et là d’agréables découvertes, par exemple que les colombes sont volages et les papillons constans en amour, et il s’empresse, fidèle à sa vie passée, de combattre cette réputation usurpée et de défendre cette vertu calomniée. Hélas ! ce sont là maintenant les seuls préjugés qu’il bat en brèche. Quand il est fatigué de causer avec la nature et qu’il s’adresse à son imagination, il trouve d’ingénieuses allégories ou quelque rêverie légère qui le berce doucement. Il aime à se reporter vers la jeunesse écoulée, il lui tend les bras avec tendresse, et retrouve pour l’appeler ses accens espiègles et malicieux d’autrefois, comme dans la chanson intitulée les Défauts, une des plus gaies et des plus vives du livre.

À l’exception des pièces sur Napoléon, qui sont décidément médiocres, et de quelques pièces à prétention philosophique, ces chansons se, ressemblent toutes, et c’est là leur très grand défaut. Elles ont toutes la même grâce sénile et le même indulgent sourire : ce sont bien des chansons de vieillard. Pour éviter le reproche d’être ennuyeux, que leur fait Béranger dans un de ses derniers refrains, les vieillards sont souvent aimables hors de propos et prévenans à