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bres ; mais d’un autre côté il se trouvait en face d’une présomption d’hostilité de la part du pays. Si les exaltés du parti catholique étaient plus clairvoyans, ils s’apercevraient peut-être qu’ils ne sont point étrangers à ce résultat. Et cette situation une fois créée, que pouvaient faire à leur tour les chefs du parti libéral appelés au pouvoir ? Leur conduite était toute tracée : ils ne pouvaient gouverner avec la chambre telle qu’elle existait. La dissolution était une nécessité, comme elle était peut-être le dénoûment le plus naturel de cette crise, qui finissait par n’avoir plus d’issue.

Les libéraux profiteront-ils de la leçon et de l’expérience ? Les premiers actes de M. Charles Rogier attestent la modération de ses vues. Le cabinet actuel n’a point d’autre pensée que de suivre une politique d’ordre et de conservation, en maintenant l’indépendance du pouvoir civil et l’intégrité des droits de l’état dans ses rapports avec l’église. Le progrès, tel qu’il l’entend, est un progrès sage, mesuré, sans secousse et sans violence. Malheureusement ce qui est vrai des catholiques ne l’est pas moins des libéraux dans un autre sens. Pour les hommes d’état des deux opinions, le danger est dans les entraînemens de leurs partisans. Les libéraux belges au fond ne menacent point l’église, et la plupart d’entre eux d’ailleurs sont catholiques ; mais ils font comme s’ils la menaçaient. Par une sorte d’ostentation de liberté, ils patronnent quelquefois les enseignemens irréligieux ; ils vont chercher au dehors des modèles de libéralisme d’un genre un peu suspect, et dont d’autres pays n’ont pas voulu, outre que l’importance sérieuse qu’ils donnent à ces modèles fait sourire les pays auxquels ils font de tels emprunts. Ils jettent dans des polémiques violentes tous ces mots de parti clérical, de parti épiscopal, qui sont les armes dangereuses des révolutionnaires, et, loin de servir la liberté, ils arrivent ainsi à effaroucher les croyances. Il suit de là que les libéraux belges, qui sont placés sur un terrain juste et vrai, et qui retrouvent toute leur force quand ils défendent l’indépendance et les droits de la société civile, perdent leurs avantages et compromettent leur cause quand ils semblent menacer les consciences religieuses. Ils éloignent d’eux beaucoup d’esprits conservateurs dont au fond ils ne sont séparés que par des passions et des exagérations de langage. Les uns et les autres devraient se rappeler que l’alliance de l’esprit religieux et de l’esprit de liberté a fait la nationalité belge. Ce sont ces deux choses qui sont la raison d’être de l’indépendance de la Belgique aussi bien que de sa constitution, l’une des plus libérales qui existent, et c’est là ce qui devrait se dégager sans cesse des polémiques violentes pour servir de guide aux hommes d’état vraiment modérés des deux partis. C’est aux chefs de l’opinion libérale maintenant au pouvoir de dénouer victorieusement par leur intelligente prudence une crise trop prolongée. Prétendre, comme on le fait encore, qu’ils ont reçu la direction des affaires des mains de l’émeute, ne servirait qu’à aggraver une situation déjà assez difficile. Le cabinet actuel a reçu le pouvoir de la prérogative constitutionnelle du roi agissant librement ; il l’a reçue pour gouverner avec modération, et c’est là sans nul doute sa pensée, lorsqu’il demande un témoignage de confiance au pays, qui va se prononcer le 10 de ce mois.

Les élections piémontaises, d’un autre côté, ne sont plus à s’accomplir.