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mondaines ferait chercher les lauriers des Richelieu et des Lauzun jusque sous la hutte des Hottentots y trouvent une société à peu près semblable à toutes les sociétés de province. Enfin, dernière considération toute puissante, il y a là pour les sages amis d’une retraite sans austérité, c’est-à-dire pour le plus grand nombre, une race de femmes à la beauté solide et au cœur à la fois tendre et calme, offrant des affections sans orages à une foule de militaires reconnaissans.

Ce fut au commencement d’un jour printanier que le régiment où servait Fleminges arriva devant cette ville. — Jamais, disait un jour Richard, je n’ai vu apparaître à la fin d’une étape une ville où je devais passer seulement vingt-quatre heures, sans me livrer au moins quelques minutes à une petite rêverie pleine de charmes. Je m’écrie tout comme M. de Lamartine : « Là je vais trouver une âme que j’ignore. » Cette âme habitera le corps d’une hôtelière, ou d’une souveraine de comptoir, ou d’une femme de notaire, peut-être même d’une châtelaine, que sais-je ? Les billets de logement nous envoient partout, le destin est tout puissant, et les fourriers sont ses ministres. Dans quelques heures, les chevaux installés et le déjeuner terminé, j’entamerai un roman plus ou moins agréable, mais que la brièveté, à coup sûr, sauvera de l’ennui. Il se peut bien que ce soir je sois prodigieusement sentimental ; c’est même certain, s’il y a devant l’auberge des arbres et un banc de pierre. En ce cas, je me sens porté aux amours allemandes, et je regarde avec un attendrissement profond la Gretchen de la Croix-d’Or ou du Cheval-Blanc. Demain matin, la trompette heureusement dissipera mes songes langoureux de la veille avec les premiers rayons du jour. Toutefois la marche sera un peu triste à ses débuts, et je sentirai comme le poids d’un fantôme sur la croupe de mon cheval. Soudain, à la première halte, cette gaie et vaillante sagesse qui sort du baril de la cantinière se lèvera, et me rendra tout entier à l’heure présente. Hélas ! pourquoi n’ai-je pas toujours donné ces bonnes et vives allures à ma vie ? — Eh bien ! en arrivant devant Herthal, Richard ne fit aucune, de ces réflexions à teintes roses ; il se sentit envahi au contraire par une tristesse secrète. Le vieil homme, comme on dit si bien, cet insupportable, cet obstiné compagnon, dont chacun de nous cherche avec tant de raison à se défaire, sembla un instant avoir repris son autorité sur lui. Il est vrai qu’il touchait au but d’une course, non point à un de ces lieux de passage où notre âme et les choses extérieures n’ont guère le temps de former entre elles des unions fastidieuses. — On devrait, disait-il à un de ses compagnons, n’arriver jamais à la fin d’un voyage. Le terme d’une excursion, c’est quelque chose comme le mariage à la fin d’un roman, c’est-à-dire le