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pourvu qu’elle ne pousse pas la sévérité jusqu’au dénigrement systématique, elle peut parler avec confiance, certaine d’obtenir le suffrage des esprits élevés, et de voir toujours en définitive des vérités utiles prévaloir sur de passagères erreurs.

D’ailleurs est-ce le cas d’être timide quand il s’agit non-seulement d’un talent secondaire mal à propos classé parmi les talens supérieurs, mais encore d’un caractère qui nous convie effrontément à observer ses faiblesses, d’une vie qu’ont agitée toutes les passions mauvaises, et qu’on a jugée presque toujours avec une incroyable indulgence ? On rencontre dans l’histoire de l’art de ces noms peu respectables à tous égards, auxquels une vénération traditionnelle reste attachée, et qui semblent avoir le double privilège de la popularité sans cause bien définie et de la gloire sans contrôle. Quel nom d’artiste, par exemple, est plus universellement célèbre que le nom de Benvenuto Cellini ? Les aventures de cet étrange héros, le soin qu’il a pris de nous informer de ses mérites et de nous détailler les moindres événemens qui marquèrent sa vie, — sauf à surfaire singulièrement le tout, — expliqueraient sans doute la notoriété, mais ne suffisent pas, tant s’en faut, pour justifier une aussi vaste renommée. Si l’on examine les œuvres de Cellini, abstraction faite de ce qu’il en a dit lui-même, nul doute qu’il n’y ait beaucoup à rabattre de l’estime qu’on leur accorde en général, nul doute qu’on n’arrive à s’étonner que ce talent, humble en soi, ait pu être exhaussé au niveau des plus grands. Benvenuto Cellini fut tout au plus un artiste de second ordre, un petit maître, comme on dit de certains artistes de l’Allemagne et des Pays-Bas : pourtant, suivant le préjugé commun, il va de pair avec les maîtres illustres. Le roman, le théâtre ont fait d’un industrieux orfèvre un homme de génie, et, — transformation plus radicale encore, — d’un abominable bravo le type des générosités de l’âme, un rêveur, presque un martyr. Rien de moins élégiaque à coup sûr qu’un personnage de cette trempe, rien de moins équivoque que sa physionomie. Il faut essayer de replacer sous son vrai jour et de réduire à ses justes proportions cette figure tantôt affublée, on ne sait pourquoi, de poésie et de mystère, tantôt démesurément grandie.

Si l’on se proposait seulement de contredire l’opinion en ce qui concerne des travaux admirés un peu à la légère, si nous n’avions d’autre dessein que de discuter la valeur de quelques œuvres, l’entreprise pourrait paraître inopportune, en tout cas assez oiseuse. Qu’importe après tout, pourrait-on dire, un nom de plus ou de moins sur la liste des anciens maîtres ou une méprise qui ne ferait de tort qu’à la hiérarchie des talens ? Le grand mal, par exemple, que Carlo Dolci, l’un des plus chétifs peintres de l’école italienne,