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Il est singulier que Cellini, si attentif d’ordinaire à mentionner jusqu’aux moindres de ses ouvrages, ait passé celui-là sous silence dans son Traité aussi bien que dans sa Vie. À plusieurs reprises il parle de la médaille qu’il grava pour Clément VII ; il ne dit pas un mot de la médaille de François Ier, médaille parfaitement authentique pourtant, signée de son nom comme la première, et le meilleur spécimen de son talent en ce genre. Une pareille omission est d’autant plus digne de remarque que tout ce qui se rattache au séjour de l’artiste en France, à ses travaux dans ce pays, et même à des faits en dehors de son art, est rapporté par lui avec une complaisance extrême, et plutôt amplifié qu’amoindri, témoin certaine description des voyages de la cour dans laquelle il représente le roi ne se rendant d’une résidence à une autre qu’escorté de dix-huit mille hommes, sans compter douze mille chevaux, dont l’unique office est de traîner ses bagages. Comment un homme si bien instruit des habitudes de François Ier a-t-il pu oublier qu’il avait fait le portrait de ce souverain magnifique ? Comment a-t-il laissé échapper une occasion si belle de vanter son propre talent et de nous rappeler la haute faveur dont il était l’objet ?

Quoi qu’il en soit, on sait que Benvenuto Cellini quitta le service de Paul III pour venir en France, et qu’il passa cinq années à peu près tant à Fontainebleau qu’à Paris. Les années précédentes avaient été marquées par bien des aventures. Meurtres, emprisonnemens, agitations de toute sorte, y compris de honteuses amours, rien ne manque à cette phase de la vie de l’artiste, et la période suivante sera digne en tous points de celle-ci. Les mœurs de l’époque étaient-elles donc telles qu’elles comportassent naturellement cet incroyable mélange de passion sauvage et d’intelligence raffinée, d’immoralité et de talent, d’élégance d’esprit et de bassesse d’âme ? On l’a prétendu quelquefois, et l’on a voulu excuser ainsi la candeur effrontée avec laquelle Cellini se glorifie d’un assassinat aussi bien que d’une œuvre d’art, d’une nuit de débauche aussi bien que d’une heure d’inspiration. L’auteur d’une traduction, d’ailleurs très recommandable, de la Vie de Cellini, M. Léclanché, va même jusqu’à dire dans l’avant-propos de son ouvrage : Les passions de Cellini furent les passions de l’Italie tout entière, ses erreurs les erreurs de son temps, ses excentricités les excentricités de toute la renaissance. À Dieu ne plaise qu’il faille confondre tous les personnages ou seulement les artistes du XVIe siècle avec un excentrique de cette sorte, les faiblesses de Raphaël, que d’ailleurs il payait de sa vie, avec des erreurs qui ôtaient la vie aux autres, les nobles passions et la fierté d’un Michel-Ange avec cette vanité folle et ces passions de grand chemin ! Non, l’homme qui frappe sans marchander, à Florence, à Rome, à Paris, quiconque offense son amour-propre ou gêne son ambition ;