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resté que le vaste bas-relief de bronze où il a représenté cette Nymphe. Les ornemens qui l’accompagnaient n’existent plus ; quelques-uns même n’ont jamais été terminés. Il n’est donc pas possible d’apprécier la partie architecturale du travail, et l’on a pour tous documens sur ce point les détails que Cellini a pris soin d’enregistrer lui-même, — détails auxquels se mêlent, comme de coutume, force particularités biographiques et des souvenirs recueillis par l’écrivain avec un cynisme naïf : témoin l’effort de mémoire qu’il lui faut faire pour constater les droits d’aînesse d’une fille née de ses amours avec une pauvre créature nommée Jeanne qu’il avait séduite à Paris. « Jeanne me donna une fille, dit-il. De tous les enfans que j’eus, celui-là, autant qu’il m’en souvient, fut le premier[1]. » Mais revenons à l’œuvre qui préoccupait bien autrement sa sollicitude paternelle, à cette Nymphe de Fontainebleau dont il parle du moins sans nulle crainte de méprise, sans incertitude d’aucune sorte.

La figure destinée à couronner la porte principale du palais de Fontainebleau était primitivement une allusion à l’origine de la résidence royale construite par François Ier. Elle devait personnifier une source, la fontaine de Belle-Eau, découverte un jour à la chasse par les chiens de la meute royale. Sous le règne de Henri II, elle changea de sens comme de destination : on l’envoya, au château de Diane de Poitiers, à Anet, grossir le nombre des, images de la déesse que la maîtresse du logis reconnaissait pour sa patronne. Diane ou nymphe, qu’importe le nom au surplus ? Les intentions allégoriques ont dans le travail de Cellini un caractère si incomplètement défini, que le champ reste libre aux interprétations. Il ne s’agit ici en effet ni d’une Diane se manifestant, comme la Diane de Jean Goujon, dans sa beauté radieuse et dans sa gloire, ni d’une chaste naïade, d’une Source comme celle dont le pinceau d’un grand maître nous révélait naguère la mystérieuse demeure. Cellini nous montre simplement une femme fort dévêtue, se reposant au bord de l’eau en compagnie d’un cerf que ne paraissent pas émouvoir plus qu’elle les aboiemens de la meute qui survient. L’exécution rachète-t-elle la nullité de la composition ? Il suffit de se rappeler les ouvrages des maîtres antérieurs,

  1. Le nouvel éditeur des Traités a placé en tête de l’ouvrage un tableau de la descendance de Cellini. Il résulte de ce tableau que Cellini eut deux enfans légitimes, six enfans naturels, et que, non content de cette postérité directe, il y ajouta le surcroît d’un fils d’adoption. Les devoirs de la paternité ne lui semblaient pas, il est vrai, si rigoureux, qu’il hésitât beaucoup à s’en affranchir quand ces devoirs menaçaient de compromettre sa liberté ou son repos. Cellini adopte un fils en 1560 : on le voit bien peu après revenir sur le fait de cette adoption et l’annuler par acte authentique. Quelques années auparavant, il était devenu père, — non par voie d’adoption cette fois : « Costanza, dit-il, — l’enfant se nommait ainsi, — fut remise par moi avec une certaine somme à une sœur de sa mère. Depuis lors je n’ai jamais entendu parler d’elle. »