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j’en éprouvai aggrava mon indisposition. Je reçus des sœurs hospitalières des soins si empressés et si touchans, que mon rétablissement fut plus prompt qu’on n’aurait pu raisonnablement l’espérer. En moins d’un mois, je fus en état de m’embarquer sur le brick le Héros, qui faisait habituellement les transports de Brest à Rochefort. J’avais été chaudement recommandé au sous-lieutenant qui nous servait de capitaine. Soit que ma physionomie lui déplût, ou qu’il fît peu de cas des recommandations de mes protecteurs, nous n’étions pas en dehors du goulet, qu’il me signifia l’ordre de rester sur le gaillard d’avant. Aucune place ne me fut assignée pour me coucher ; on ne me donna pas même la ration qui me revenait comme passager. Je serais probablement mort de faim, si un jeune officier n’avait eu pitié de moi, et si quelques matelots, plus humains que leur capitaine, n’avaient suivi ce généreux exemple. Heureusement la traversée fut courte. Le sixième jour, nous remontâmes la Charente, et nous vînmes prendre le mouillage de Martrou. L’ancre était à peine au fond, que je sollicitais la permission de descendre à terre avec l’officier qui allait rendre compte au commandant de la marine de l’arrivée du bâtiment. J’obtins cette faveur non sans peine, et, me jetant à la hâte dans le canot, je trouvai, grâce à l’exiguïté de ma taille, le moyen de m’y blottir sans gêner personne. Je fus ainsi déposé sur le rivage, à deux lieues environ de Rochefort, avec le sac de toile qui renfermait tout mon petit bagage de matelot. C’était la charge d’un homme et non celle d’un enfant ; mais j’avais été habitué de bonne heure à ne trouver d’assistance que dans mon courage et mon industrie. Je me mis donc en route, traînant bravement mes richesses après moi. Avertie de mon retour, mon excellente mère s’était empressée de venir à ma rencontre : elle me trouva assis sur mon sac, accablé de fatigue et inondé de sueur. N’écoutant que son amour maternel, elle voulut prendre sa part du fardeau qui avait épuisé mes forces. Malgré nos efforts réunis, nous serions cependant difficilement sortis d’embarras sans le secours d’un robuste jeune homme qui, pour un léger salaire, se chargea de faire à lui seul ce que nous étions dans l’impossibilité d’accomplir à nous deux. Mon retour dans la maison paternelle fut un sujet de grande joie pour la famille. Mon père et mes frères ne se lassaient pas de me témoigner le plaisir qu’ils en ressentaient ; mais, à les en croire, l’indisposition que j’avais éprouvée dans ce premier essai de la navigation devait me faire renoncer à la carrière de la marine. Je résistai à tous leurs raisonnemens, si fondés qu’ils pussent paraître alors, et je parvins encore une fois à vaincre leurs préventions.

Une ordonnance du roi, en date du 1er janvier 1786, contre-signée par M. de Castries, venait de réorganiser le corps de la marine et