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était bientôt tombée en disgrâce. Enfin était venue Sarah, esclave circassienne, qui avait passé du harem du pacha dans celui du favori. En deux ans de mariage, elle était devenue mère d’une fille charmante, idole de son père, et d’un garçon âgé de huit mois à l’époque même où le pauvre Osman se débattait contre la mort. Pendant sa longue maladie, Osman avait toujours voulu avoir ces enfans à son chevet, et ils faisaient avec Sarah partie du groupe dont nous venons d’indiquer les principaux personnages.

Une conversation insignifiante, à laquelle ne prenaient point part les trois épouses rivales, se continuait depuis une heure entre les esclaves réunis autour d’elles, lorsqu’un soupir et quelques mots prononcés d’une voix sourde annoncèrent le réveil du malade. Le silence se rétablit aussitôt, et Sarah courut se placer au chevet d’Osman. D’une main tremblante, le jeune homme saisit un flacon posé près de lui et le porta à sa bouche. Après avoir bu quelques gorgées du cordial qu’il contenait (et ce cordial n’était autre que de l’eau-de-vie), Osman retrouva un moment assez de force pour adresser à Sarah ces quelques mots : — Mon père t’attend, toi et mes enfans. As-tu de l’argent pour le voyage ?

Un geste négatif de la jeune femme fut sa seule réponse.

— Allah ! Allah ! s’écria douloureusement le malade. Et ses regards parcoururent tous les recoins de la grande chambre comme pour y chercher quelque objet précieux de nature à être transformé en argent. Ils venaient de s’arrêter sur les aigrettes de diamant qui paraient le front de sa première épouse, quand Sarah comprit la secrète pensée d’Osman, et se hâta de dire à voix basse : — Ne pourrai-je aller à pied ?

— À pied ? avec tes deux enfans ! Mais il faut huit jours pour faire à cheval le voyage de Constantinople à la maison de mon père… Et comment vivrais-tu pendant la route ?

Sarah hésitait à répondre ; enfin elle balbutia : — Et si je m’adressais à la beiuk-kanum (grande dame) ? — On désignait ainsi la première épouse du pacha.

— La beiuk-kanum ! Oui, tu as raison, Sarah. Elle est bonne, elle ne nous refusera pas son appui… — Et un sourire de satisfaction succéda un moment à l’expression d’inquiétude qui contractait les traits du malade.

Le temps pressait, la nuit était venue. Sarah voulut partir sans retard pour se rendre chez la beiuk-kanum. Osman ne résista que faiblement au désir de sa femme, et au bout de quelques instans, enveloppée d’un caftan et les traits cachés sous le yakmak, Sarah se dirigeait, suivie de deux négresses, vers la demeure du pacha.

À peine était-elle sortie, qu’Osman se reprocha d’avoir consenti à