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notre duel et se vanta effrontément de m’avoir crevé la bedaine. Nous étions alors en route pour la France. Lorsque nous y arrivâmes, le temps, mieux encore que ses justifications, avait dissipé ma colère. Ce brave garçon a été plus tard embarqué sous mes ordres en qualité d’enseigne de vaisseau, et je lui ai prouvé que je ne lui gardais rancune ni de son indiscrétion ni de sa leçon d’escrime.

Quand le Bon-Père eut bien séché sa peinture et envergué ses voiles les plus neuves, nous partîmes de la rade de Port-au-Prince, et nous débouquâmes par le canal des Cayes avec des vents favorables. Notre traversée n’en fut pas cependant plus courte, conséquence naturelle de la mauvaise marche de notre bâtiment. Notre navigation ne fut d’ailleurs signalée par aucun incident, si ce n’est toutefois au moment de notre atterrage sur la côte de France. Nous avions pris connaissance de l’île d’Yeu, et nous faisions route pour donner dans le pertuis breton. Le vent s’était élevé, la mer était devenue grosse. Nous passâmes probablement trop près de l’extrémité du banc qui s’étend au large de la pointe de la Baleine, car nous reçûmes tout à coup plusieurs lames qui causèrent à bord une grande épouvante. Nous étions sous l’influence de la sinistre réputation que tant de naufrages ont value à ces dangereux écueils, et nous crûmes un instant que nous n’avions échappé à tous les périls de notre campagne que pour venir périr à l’entrée du port. Nous en fûmes heureusement quittes pour la peur ; le soir même, nous laissions tomber l’ancre sur la rade des Basques. Deux jours après, nous étions dans le port de La Rochelle, où se termina ce pénible voyage, qui n’avait pas duré moins de dix-sept mois.

Aussitôt que je fus débarqué du Bon-Père, je m’empressai de me rendre à Rochefort. J’y trouvai toute ma famille réunie et en parfaite santé. Il y a dans les premières impressions du retour un bonheur que les marins peuvent seuls connaître. Mon instruction se ressentait de mes longues absences de la maison paternelle. Je me mis courageusement à l’étude. Un professeur de navigation qui avait la réputation de faire en peu de temps de bons élèves me donna des leçons de mathématiques. Mes progrès furent rapides. Dans l’espace de trois mois, j’étais en état d’être le répétiteur de mes nombreux camarades d’école. J’avais sur eux l’avantage d’avoir déjà fait plusieurs campagnes ; les notions que j’avais acquises à la mer me donnaient une grande facilité pour comprendre et démontrer les problèmes qu’il faut résoudre par le calcul. Comme témoignage irrécusable de ma science, j’emportai le 23 avril 1791 l’attestation de M. Fradin, sous-lieutenant de vaisseau, professeur de l’école publique d’hydrographie à Rochefort, qui certifiait que « M. P. J… avait suivi ses leçons avec une attention et une application peu communes, qu’il était très en état de résoudre toutes questions relatives