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de laisser aux indigènes leurs lois dans tout ce qu’elles avaient de tutélaire pour la transmission des biens et la durée des familles, à côté du jugement par jury graduellement introduit, et de la liberté de la presse exercée sans obstacle dans les principales langues du pays, se fortifiait et s’étendait l’emploi de troupes indigènes rangées sous des officiers anglais.

De grandes épreuves imposées ailleurs à l’Angleterre lui avaient rendu cette méthode précieuse. Ses combats en Égypte contre le général Bonaparte l’avaient plus d’une fois contrainte d’affaiblir les garnisons mêmes du Bengale, pour donner des auxiliaires aux armées turques sur les bords du Nil, et parfois elle s’était inquiétée des projets qu’un adversaire si hardi, déchaîné dans l’Orient, pouvait tenter pour atteindre un jour l’empire britannique jusqu’aux rives du Gange. Cette pensée, que Napoléon avait eue de bonne heure, et qui sans doute l’avait quitté de 1800 à 1810 pendant les grandes guerres du continent, le reprit, on ne l’ignore pas, en 1812, et lui apparaissait au passage du Niémen et à la lueur des flammes de Smolensk ; mais alors elle alarmait peu les Anglais, si rassurés du côté de la Russie par une intime alliance de périls et de haine.

À cette époque même et dans les années calamiteuses qui suivirent, l’Angleterre, en prenant une part si active aux luttes du continent européen, poursuivait avec une tranquille inflexibilité l’agrandissement de son empire dans l’Inde, transformant les alliés en tributaires, les tributaires en sujets directs, pensionnant les princes détrônés, ajoutant province à province, soumettant le pays par les bras mêmes des indigènes, et avec chaque peuplade nouvellement vaincue en asservissant une autre, souvent la plus civilisée par la plus barbare.

Alors même se formait dans l’Inde l’habile et puissant général, l’homme d’état militaire, qui, des champs de bataille orientaux du grand Albuquerque, devait revenir en Europe animer la résistance de la nation portugaise, humilier la fortune des lieutenans de Napoléon au pied des hauteurs fortifiées de Cintra, la poursuivre et la blesser en Espagne, lutter contre elle encore dans la France envahie, et s’élever, pour dernier terme, à l’attaque et à la défaite de Napoléon lui-même. Ainsi l’Inde.préparait des guerriers pour l’Europe. Wellesley ne fut pas remplacé dans l’Inde ; mais il n’en était pas besoin, et après comme durant la chute de l’empire en Europe, la grandeur britannique sur le Gange allait s’accroissant d’elle-même par une impulsion que hâtaient les obstacles.

C’est à ce moment même d’une domination incontestée, sans gloire éclatante, qu’on aime à considérer, dans cette histoire de tant de peuples si facilement soumis, le spectacle des vertus d’un homme,