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pour l’éloquence. Cette poésie eut deux formes, tantôt l’hymne religieux, tantôt l’ode descriptive et passionnée. L’hymne religieux peut naître dans tous les pays, et à ce titre la plupart des chants chrétiens d’Heber, inspirés par ses études, sa vocation simple, ses contemplations de la foi, avaient précédé son séjour dans l’Inde. Il y continua les mêmes accens sous un ciel plus favorable et dans l’ardeur d’un apostolat plus impérieux ; mais en même temps il y fut poète de la nature et de la vie privée : il y fut poète inspiré par les lieux comme par les souvenirs, mêlant ses joies de famille à ses épreuves de missionnaire, son amour humain à ses espérances célestes. Tel est le charme de ces stances à la femme qui portait son nom, et qui d’Europe le suivit en Orient, où elle resta seulement séparée de lui durant quelques missions plus périlleuses[1] :


« Si tu étais à mon côté, ô mon amour ! combien, sous le bosquet de palmiers du Bengale, la soirée passerait vite à écouter le rossignol !

« Si toi, ô mon amour ! tu étais à mon côté, mes petits enfans sur mes genoux, combien notre barque glisserait joyeuse sur cette mer du Gange !

« Je te cherche à l’aube naissante, lorsque, penché sur le tillac, j’étends mon corps dans un oublieux repos et que j’aspire à la fraîcheur de la brise.

« Je te cherche lorsque sur le vaste sein du fleuve je dirige ma course dans le crépuscule ; mais plus encore sous le pâle rayon de la lune je m’aperçois que tu manques à mon côté.

« Je dispose mes livres, j’essaie mon pinceau, pour charmer les heures languissantes du midi ; mais il me manque ton œil doucement approbateur, ton oreille attentive avec indulgence.

« Seulement lorsque l’étoile du matin et celle du soir me voient m’agenouiller, je sens que, malgré la grande distance qui nous sépare, tes prières, à la même heure, montent aux cieux pour moi.

« En avant donc, en avant ! Où le devoir m’appelle, que là se précipitent mes pas, sur les brûlantes prairies de l’Hindoustan, sur les froides hauteurs d’Armoral

« Que ni les portes royales de Delhi, ni la terre sauvage des Malais ne me retiennent, car le suprême bonheur nous attend tous deux, là-bas près de l’Océan occidental !

« Tes tours, ô Bombay, s’élèvent resplendissantes au-dessus de la bleuâtre obscurité de la mer ; mais il n’exista jamais cœurs si contens et si heureux qu’il s’en rencontrera bientôt dans tes murs. »

  1. If thou wert by my side, my love
    How fast would evening fail
    In green Bengal’s palmy grove,
    Listening the nightingale !
    If thou, my love, wert by my side,
    My babies at my knee,
    How gaily would our pinnace glide
    O’er Gunga’s mimick sea !
    Etc…