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résistance au tourbillon vertigineux de ses pensées. Il languit ainsi quelques jours. Enfin, au terme d’une nuit passée dans un assoupissement causé par l’extrême faiblesse, il se leva sur son séant, murmura le nom de Sarah, celui de sa mère, et retomba sur ses oreillers. Quelques mots, qui s’adressaient à sa famille absente, errèrent encore sur ses lèvres ; puis un grand soupir souleva une dernière fois sa poitrine, et la pauvre âme s’enfuit de la terre.

Quelques jours après cette triste mort, dont un palais délabré de Constantinople avait été le théâtre, la modeste ferme que nous avons décrite au début de cette histoire recevait Sarah, ses deux enfans et un fidèle serviteur, qui n’avait pas voulusse séparer de sa maîtresse. La même femme qui avait vu le fils de Mehemmedda mourir victime des funestes influences d’une fausse civilisation allait voir, au sein de la famille du paysan, la lutte des élémens de décadence et de régénération que possède la Turquie se poursuivre sous une autre forme. Cette fois heureusement la corruption ne devait pas triompher de la vertu.

III.

Ce fut un jour mémorable pour la famille du vénérable Mehemmedda que l’arrivée de la belle veuve d’Osman. Les femmes et les enfans se pressaient autour de Sarah et des petits orphelins, criant, pleurant, riant, culbutant tous les paquets, sous prétexte de mettre chaque chose à sa place. Une mule chargée de linge et d’objets de literie charma les regards de la vieille Ansha, qui reconnut avec joie que l’arrivée de sa belle-fille ne causerait aucun embarras à la famille. On offrit la pipe et le café au vieux serviteur Hassan. La digne femme de Mehemmedda reconnut sur les frais visages de ses petits-enfans les traits de son premier né, et la douloureuse émotion causée par cette ressemblance se trahit en une explosion de sanglots. Sarah fit alors observer timidement que les deux enfans lui paraissaient plutôt le portrait de leur grand-père, et cette remarque lui gagna d’emblée le cœur du vieillard.

Les jours qui suivirent se passèrent pour la famille et pour Sarah à faire des questions et à y répondre. Il fallut que Sarah racontât et racontât encore la maladie et les derniers instans d’Osman, qu’elle répétât autant de ses paroles qu’elle pouvait s’en rappeler. Et quand la vieille mère apprit que son nom était sorti le dernier des lèvres de son fils expirant, Ses filles craignirent qu’elle ne fondît littéralement en larmes. — Mon pauvre enfant ! criait-elle, pourquoi ai-je consenti à son départ ? qu’avait-il besoin d’honneurs et de renommée ? Ni le pain, ni le riz n’ont jamais manqué à la maison, et le fils de mes