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lire de romans, et il invoque sa propre histoire comme la preuve la plus décisive du mal que produisent dans une jeune intelligence ces peintures menteuses de la vie humaine.

Une violente attaque de la petite vérole mit ses jours en danger, lorsqu’il avait huit ou dix ans : la maladie laissa des traces profondes sur son visage, dont tous les traits furent démesurément grossis. Il ne lui resta de sa gentillesse première que de beaux yeux, dont le regard avait une douceur extrême, et une certaine vivacité de physionomie à laquelle on finissait par trouver quelque charme. À peine guéri, il fut envoyé à Elphin, à l’école où avait étudié son père. On ne se proposait point de lui donner une éducation complète : les ressources de la famille suffisaient à peine à payer dans une école latine la pension du fils aîné, Henri, qui se préparait pour l’université. Charles Goldsmith décida qu’Olivier entrerait dans le commerce ; mais tous les parens se récrièrent : ils firent valoir quelques réparties heureuses et la facilité avec laquelle l’enfant apprenait, quand il voulait s’en donner la peine ; ils offrirrent de contribuer à la dépense et gagnèrent leur cause. Olivier fut envoyé au collège, à Athlone d’abord, puis à Edgeworthstown. Il se montra un écolier intelligent, mais d’une extrême indolence : très indifférent à la routine ordinaire de la classe et presque toujours inattentif, il devenait plus appliqué et plus laborieux que personne lorsqu’un sujet d’étude lui plaisait. Horace et Ovide étaient ses auteurs favoris ; il les savait par cœur, il était toujours prêt à les traduire, soit en prose, soit en vers : il avait peu de goût pour les philosophes et les orateurs, sans en excepter Cicéron ; mais Tite-Live le charmait, et Tacite, quand il eut triomphé des difficultés du texte, devint et demeura toujours une de ses lectures de prédilection. Les mathématiques le rebutaient, et tous les instans qu’il pouvait dérober à cette étude ingrate, il les consacrait à lire furtivement les poètes anglais, surtout ceux de son pays, tels que Denham, Parnell et Roscommon. Olivier prenait ces poètes pour modèles dans de petites pièces qu’une modestie excessive l’entraînait à détruire aussitôt qu’elles étaient achevées. Quant à son caractère, il était une énigme pour ses camarades et pour ses maîtres ; il semblait qu’il y eût en lui deux natures : tantôt il était le plus gai, le plus étourdi, le plus pétulant des écoliers, tantôt on le voyait réservé, silencieux, et comme mécontent de lui-même et des autres ; mais ce qu’on ne pouvait méconnaître dans cette jeune âme, c’étaient une sensibilité extrême, une susceptibilité ombrageuse qui lui faisaient une souffrance du moindre reproche ou d’une parole un peu dure, et une tendresse de cœur dont la plus faible marque d’amitié provoquait l’explosion.