Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses parens, ses amis, ses maîtres, ses camarades, et il semblait que cet hommage rendu à son heureuse nature dispensât de former son esprit et surtout son caractère. Ce n’était point du reste le père d’Olivier qui aurait pu diriger cette éducation dans une meilleure voie. Charles Goldsmith était le meilleur, le plus obligeant, le plus charitable, mais aussi le plus faible et le plus imprévoyant des hommes, le plus dépourvu de toute connaissance du monde. C’est ainsi qu’Olivier lui-même l’a peint dans le Vicaire de Wakefield et dans l’Histoire de l’Homme noir. Il n’est pas douteux en effet que Charles Goldsmith ne soit l’original du docteur Primrose et du père de l’homme noir ; ses enfans ont été les premiers à reconnaître la fidélité de ce double portrait :


« Comme nous demeurions près de la grande route, dit le vicaire, étrangers et voyageurs venaient souvent goûter notre vin de groseilles, pour lequel nous étions en grande réputation, et je dois dire, avec la véracité d’un historien, que jamais personne ne lui a trouvé le moindre défaut. Nos cousins, jusqu’au quarantième degré, se rappelaient tous leur parenté, sans aucune aide du héraut d’armes, et venaient aussi fréquemment nous voir. Quelques-uns ne nous faisaient pas grand honneur par leurs prétentions au cousinage, car l’aveugle, le boiteux et le bossu ne se faisaient pas faute de venir. Ma femme cependant soutenait toujours que comme ils étaient la même chair et le même sang que nous, ils devaient s’asseoir à la même table. Si donc les amis que nous avions à la maison n’étaient pas toujours riches, ils étaient généralement très heureux : en effet l’expérience de la vie nous apprend que plus un hôte est pauvre et plus il est charmé d’être fêté, et de même que certaines gens s’éprennent des couleurs d’une tulipe ou d’un papillon, je suis de mon naturel grand ami des figures que le bonheur épanouit. »


Laissons maintenant parler l’homme noir :


« Mon père, cadet de bonne famille, était pourvu d’un petit bénéfice. Son instruction était au-dessus de sa fortune, et sa générosité plus grande que son instruction. Tout pauvre qu’il était, il avait ses flatteurs, plus pauvres encore que lui : pour chaque dîner qu’il leur donnait, ils le payaient en louanges, et c’était tout ce qu’il demandait. L’ambition qui anime un monarque à la tête de son armée animait aussi mon père à la tête de sa table. Il racontait l’histoire du lierre, et l’on riait ; il répétait la plaisanterie des deux écoliers qui n’avaient qu’une paire de culottes, et la compagnie de rire de plus belle ; mais l’histoire de Taffy et de la chaise longue ne manquait jamais de faire pouffer toute la table. Son plaisir s’accroissait en proportion du plaisir qu’il causait aux autres ; il aimait tout le monde et croyait que tout le monde l’aimait. Comme sa fortune était mince, il allait jusqu’à la dernière limite de son revenu ; il n’avait nulle intention de laisser un sou à ses enfans : qu’importait un vil métal s’ils avaient de l’instruction ? Car l’instruction, répétait-il volontiers, valait mieux que l’argent ou l’or. Aussi voulut-il se