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effets neufs, mais il ne pouvait s’en procurer à crédit. Il demeurait alors dans Green-Arbour-Court, dans une petite chambre, à laquelle il arrivait par un escalier qu’il appelait lui-même son casse-cou, et où il n’avait qu’un lit, une table et une chaise : quand il lui venait un visiteur, Goldsmith était obligé de s’asseoir sur l’appui de la croisée. Le tailleur refusa de livrer des habits à un homme aussi mal logé, s’il ne trouvait quelqu’un qui répondît pour lui. Goldsmith s’adressa à Griffiths, qui pour prix de ce service exigea quatre articles pour son recueil. Goldsmith s’engagea à payer le tailleur ou à rendre les habits. L’examen passé, comme il rentrait chez lui tout mortifié de son échec, il trouva son hôtesse en larmes : on venait d’arrêter son mari pour une petite dette, et Goldsmith était leur débiteur. Goldsmith s’empressa de donner à la pauvre femme l’habit dont il n’avait plus besoin, lui disant de l’aller mettre en gage et de libérer son mari. Quand le tailleur revint, Goldsmith n’avait plus ni argent ni habits. Grande colère de Griffiths, qui adressa au pauvre auteur des lettres foudroyantes où il le traitait de drôle et d’escroc, qui le menaça de la prison, et ne se radoucit que quand Goldsmith se fut engagé à écrire pour lui la Vie de Voltaire, qui parut l’année suivante.

La dureté de Griffiths en cette occasion détermina Goldsmith à offrir ses services à son concurrent Archibald Hamilton, propriétaire de la Revue Critique. Il écrivit fréquemment pour ce recueil ainsi que pour deux autres journaux littéraires, le Magasin des Dames, dont il fut le principal rédacteur, et le Busybody. Ses articles avaient un grand succès, les journaux et les magazines les reproduisaient à l’envi, et quelques écrivains peu scrupuleux en assumaient audacieusement la paternité, les signant de leur nom sans prendre la peine d’y changer une ligne. C’était un crève-cœur de tous les jours pour Goldsmith de se voir ainsi dépouiller, parce qu’il était pauvre et inconnu, et de ne pas même garder l’honneur des produits de sa plume. Il essaya bien de publier pour son propre compte un journal hebdomadaire qu’il intitula l’Abeille ; mais, faute d’argent, il fut contraint d’en discontinuer la publication au bout de quelques semaines. Sa situation ne s’améliora que par la connaissance qu’il fit de John Newbery, avec qui Smollett le mit en rapport. Newbery était un libraire actif, intelligent, très attentif à ses propres intérêts, mais fort honnête homme. Il entreprenait de fonder à la fois un recueil littéraire, le Magasin Britannique, et un journal quotidien, le Public Ledger, qui existe encore, et dont le premier numéro parut le 1er janvier 1760. Il était en quête d’écrivains, et Smollett lui signala Goldsmith comme une des meilleures plumes qu’il pût employer. Newbery assura à Goldsmith un traitement