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ou des réponses singulières, qui amenaient un sourire sur les lèvres de la veuve d’Osman. Blessé alors, mécontent de lui-même et par conséquent de tous ceux qui l’entouraient, Benjamin disparaissait pendant des journées et quelquefois pendant des semaines entières. Sous prétexte de poser des trappes à loup et à renard, ou de découvrir dans les montagnes de plus frais pâturages pour les troupeaux, Benjamin gravissait les rochers, traversait les ravins, se glissait dans l’épaisseur des forêts vierges ; puis, quand il se sentait hors de la portée des regards et des voix humaines, il s’asseyait à l’ombre des grands arbres, sur le gazon que nul pied n’avait encore foulé. Là, les yeux fixés ou sur les profondeurs verdoyantes ou sur la voûte étoilée, il tombait dans un certain engourdissement des sens et de la pensée plein de douceur et qui produisait sur son âme l’effet d’un bain tiède sur des muscles irrités. Tous ses souvenirs se confondaient comme dans une rêverie d’où seule la figure de Sarah se détachait vivante et entourée de lumière. Les paroles tombées de ses lèvres et prononcées de sa voix basse et cadencée résonnaient à ses oreilles comme de lointains accords. Ainsi retrempé aux sources pures de la solitude et de la contemplation, Benjamin arrivait à se sentir plus fort, à douter moins de lui-même. Pourquoi seul, en présence des sapins et des chênes, dans le silence des forêts, sous les blancs rayons de la lune, n’accusait-il jamais Sarah de caprice, d’indifférence pour lui, d’injustice ni d’humeur ? Pourquoi son image lui apparaissait-elle alors comme unie par une parenté mystérieuse à toutes les belles choses dont la calme influence le rendait si heureux ? C’est là une question que je ne cherche point à résoudre. Je dis seulement qu’il ne faut pas s’étonner si les absences de Benjamin devenaient de plus en plus fréquentes, et s’il s’oubliait chaque fois plus longuement dans ses silencieuses retraites. Il était de ceux dont l’oreille saisit de bonne heure ce qu’il y a de discordant dans les voix et dans les bruits de ce qu’on appelle le monde, qui n’écoutent avec docilité que les leçons données dans le silence des déserts par l’âme à l’âme elle-même. Aussi Sarah remarqua-t-elle plus d’une fois avec étonnement le singulier rayonnement qui éclairait le visage de son fantasque élève, lorsqu’il revenait de ses longues excursions dans les montagnes, et l’accueil qu’elle lui faisait se ressentait de cette impression favorable. Alors se levaient pour Benjamin quelques jours d’ineffable félicité. Le sourire affectueux de Sarah ne lui avait pas échappé. Il se sentait le bien-venu ; il se sentait distingué, aimé de celle dont l’éblouissante image avait rempli ses rêveries dans la montagne ; il formait le projet de mériter par son dévouement et son application cette bienveillance qui lui était si précieuse, et tout allait bien,… tout jusqu’à l’heure où un nouveau froissement replongeait