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de manière à désespérer tous ceux qui voudraient recommencer une œuvre si parfaitement accomplie. La société moderne telle que l’a faite la révolution, avec l’égalité de condition qui en efface chaque jour les aspérités, avec les courans divers qui la traversent et la modifient tous les dix ans, offre-t-elle quelque prise au peintre de mœurs, au poète dramatique qui veut en crayonner les ridicules sans trop effrayer la conscience morale ? Oui, sans doute, et tant qu’il y aura des sociétés, il y aura des passions et des contrastes piquans qui peuvent être saisis et mis en lumière par un observateur intelligent. Eh bien ! cette comédie moderne dont on parle tant, et sur l’avenir de laquelle chacun s’inquiète, cette peinture de surface, qui ne vise ni à la profondeur philosophique, ni à la couleur et au relief du style, cette moquerie un peu bourgeoise des grands élans de la nature, cette comédie viagère enfin, qui reproduit les nuances, les travers changeans, et même la vulgarité des mœurs contemporaines, personne ne l’a mieux faite que M. Scribe.

Je ne veux pas m’appesantir aujourd’hui sur des tentatives qui se sont produites dans une direction plus sérieuse en apparence et rechercher ce qu’il peut y avoir de durable dans des pièces applaudies comme l’Honneur et l’Argent, de M. Ponsard, dans le talent distingué de M. Emile Augier et dans la verve un peu aventureuse de l’auteur de la Dame aux Camélias. Ce qu’il y a d’évident pour tous ceux qui examinent sans prévention la littérature dramatique depuis le commencement de ce siècle, c’est que le théâtre de M. Scribe est le plus vivant et le plus universellement accepté du public français et de l’Europe. La postérité, qui vraisemblablement jouera plus d’un tour aux vanités et aux ambitions contemporaines, pourrait bien rapprocher deux noms qui semblent, de nos jours, fort éloignés l’un de l’autre. C’est peut-être dans l’œuvre mêlée, mais vivante, de Balzac, et dans les comédies de M. Scribe que les historiens et les moralistes futurs iront puiser les renseignemens dont ils auront besoin pour étudier les ridicules, les vices compliqués et les travers de la société française pendant la première moitié du XIXe siècle. Quoi qu’il en soit, les comédies de M. Scribe, les tableaux de M. Horace Vernet et les opéras charmans de M. Auber ont de nombreuses analogies de style et de vérité, et forment l’expression la moins contestable des goûts, des mœurs et des tendances de la bourgeoisie de notre temps, c’est-à-dire de l’immense majorité de la nation française.

La musique n’aura pas gagné grand’chose pendant l’année qui va bientôt expirer. En Allemagne, les drames historiques et symboliques de M. Richard Wagner excitent toujours l’enthousiasme des philosophes, des érudits, des peintres, des littérateurs, des politiques et des étudians de l’avenir. Les représentans de la presse parisienne ont été conviés, il y a deux mois, à aller entendre à Wiesbaden cette fameuse légende du Tannhauser, dont le poème et la musique sont de M. Richard Wagner, et il semble que les effets produits par cette œuvre étrange, dont nous ne connaissons malheureusement que la partition réduite pour le piano, ne sont pas trop désavantageux à la renommée du nouveau compositeur. Des touristes éclairés, qui sont allés se promener en Allemagne pendant la saison des eaux, ont entendu également l’opéra du Tannhauser sans trop de frayeur, et en ont rapporté une impression d’étonnement qui ne ressemble pas à du dégoût. Il est vrai que ces