Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

école inaugurée par M. Verdi en Italie, d’être un admirateur exclusif et obstiné des formes rossiniennes, et en Allemagne de trop adorer le génie divin de Mozart en refusant de nous incliner devant quelques bizarreries qu’on trouve dans les dernières compositions de Beethoven. Nous serions presque tenté de nous écrier : Heureux l’écrivain qui peut encourir de tels reproches, car c’est le propre de la vérité et de la saine raison de déplaire aux partis extrêmes ! Mais, ainsi que nous le disions tout à l’heure, loin d’être un fanatique du passé, un admirateur exclusif de certaines formes consacrées par le temps, nous serions plutôt disposé, par tempérament d’esprit, à courir des aventures en allant au-devant des utopies généreuses. Nous n’appartenons à aucun culte national, mais à la grande religion des belles choses, qui élèvent le sentiment. Nous sommes attiré partout où il y a de la poésie, et toute forme de l’art qui entr’ouvre un coin de l’infini nous captive. Il n’y a pas jusqu’à la tentative de M. Berlioz qui nous eût trouvé plus favorable, si l’auteur de la Symphonie fantastique et de l’Enfance du Christ n’eût compliqué son rôle de compositeur d’un rôle de polémiste agressif aux dieux que nous adorons. Nous avons rendu à M. Verdi la justice que méritent certaines qualités de son talent fruste et passionné ; mais en face de l’exagération de son succès, qui tient à des causes passagères qui n’ont rien à démêler avec l’art, en face de cette horde de marchands qui ont envahi le parvis du temple et acclamé le faux dieu, nous avons protesté et nous avons dû défendre l’idéal formé par trois siècles de civilisation musicale. On peut être assuré que la désapprobation de quelques amateurs zélés et les injures dont nous gratifient quelques journaux infimes de Naples ou de Paris ne nous feront pas changer de conduite.

Le Théâtre-Lyrique a livré le 5 novembre la grande bataille qu’il prépare tous les ans pour mettre en évidence le talent stratégique de Mme Carvalho, général en chef. On lui a donné cette année la qualification de Margot, opéra-comique en trois actes, dont le plan a été conçu par l’imagination de MM. Saint-George et de Leuven. C’est l’histoire lamentable d’une jeune fille très vertueuse, d’une pauvre servante du fermier Landriche, ce qui veut dire, dans la langue symbolique de ces messieurs, riche en terre. Chassée par son maître pour un acte généreux, Margot se réfugie au château de M. le marquis de Brétigny, son parrain, jeune et fringant seigneur qui jette ses écus par la fenêtre. Peu s’en faut vraiment que M. de Brétigny ne devienne amoureux et n’enlève la pauvre Margot, qui est devenue tout à coup une personne charmante, possédant toute sorte de talens d’agrément et chantant comme une prima donna. Les choses se passent mieux qu’on n’aurait pu le croire. Après un nouvel acte de dévouement envers son parrain, Margot épouse Jacquot, garçon de ferme, qu’elle aime éperdument depuis son enfance, à ce qu’il appert du témoignage de MM. Saint-George et de Leuven. C’est sur ce thème émouvant que M. Clapisson a modulé un grand nombre de chansons agrestes.

Quoi qu’on dise, l’auteur de la Fanchonnette et de dix autres ouvrages qui ne sont pas restés inaperçus, est un musicien de talent. Il a de la verve, de la chaleur, de la franchise dans le style, et quelquefois aussi de la distinction dans le choix de ses harmonies. Il faut rendre cette justice à M. Clapisson qu’il vise toujours à faire de son mieux, et si l’inspiration ne le sert